theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Défenestrations »

Défenestrations

mise en scène Magali Léris

: Regard sur la mise en scène

Par Magali Léri

Pourquoi le choix d’un tel projet, cette folie avec 19 acteurs en scène ? Après avoir mis en scène Littoral, j’ai demandé à Wajdi Mouawad de m’envoyer d’autres textes : j’ai presque tout lu, je me suis arrêtée à Willy Protagoras enfermé dans les toilettes inédite à ce moment là.
Coup de foudre immédiat.
C’est une pièce cruelle qui « écrabouille » la famille.


Les deux familles, Protagoras et Philisti-Ralestine, vivent ensemble mais se disputent le droit de rester dans l’appartement possédant la seule fenêtre de l’immeuble qui donne sur la mer.
Elles se ressemblent et se détestent, mais elles provoquent les jalousies de tous les voisins, à cause justement de cette fenêtre, à cause de l’étendue de l’appartement…. voisins qui, sous prétexte d’apaiser les luttes internes, vont tenter de s’approprier ces « territoires occupés »…. en fracassant la jeunesse qui y vit.
Métaphore des guerres civiles, la pièce dit avec rage la révolte de la jeunesse contre un monde adulte qui la tue et lui fait vivre l’enfer par égoïsme, par volonté de pouvoir, par bêtise, par manque de coeur, par intérêt économique.


A la lecture de Willy, j’ai pensé… c’est une pièce sur l’adolescence qui nous replace dans l’époque la plus libre et la plus difficile à vivre : celle de l’approche de l’amour, de la détestation de la famille, celle du refus de vivre sous le joug de la loi parentale, celle où tout est possible, même le pire, le pire étant ici le suicide, mais où le pire est vécu comme une libération, un geste de liberté.
C’est une pièce des extrêmes, où les sentiments sont grands, violents, malmenés et où les jeunes gens cherchent désespérément leur place. Les adultes y sont égoïstes, méchants, mesquins, violents, menteurs, opportunistes, envieux, intéressés, calculateurs…. Ils n’écoutent pas et ne comprennent rien ; les jeunes y sont purs, poètes, créateurs, mais abîmés déjà.


Pourtant c’est une pièce très drôle, où l’humour tient une très grande place ; encore une fois la langue impitoyable de Wajdi Mouawad nous fait rire avant de nous prendre à la gorge, pour nous forcer à voir, à entendre. Les personnages de la pièce évoluent parfois dans une truculence du geste et du verbe qui m’a fait penser à Rabelais ; c’est ainsi que l’on rit avant d’être écoeuré, et parfois la douceur du verbe rejoint la poésie que tout artiste porte en lui, comme une réponse à la laideur du monde.


La pièce est aussi drôle que désespérée, et en cela elle ressemble à cet âge fragile de l’adolescence. C’est cela qui m’intéresse : parler de ce moment fragile de la vie où tout nous atteint, où tout est important, où on cherche avec joie et douleur à serrer le monde dans nos mains, pour le tenir, et croire qu’on peut y participer et le changer. Parler de la position du jeune artiste dans le monde, celui que tout touche et émeut, celui qui ne fait encore aucune concession, celui que son art sauve et qui nous montre le chemin de la liberté, celui qu’on devrait suivre, écouter, voir. Ce qui m’intéresse c’est le regard tendre et cruel que l’on peut porter sur des adultes en proie aux compromissions, aux contradictions, simplement parce qu’ils sont tellement humains…on ne les condamnera pas tout à fait…on y arrivera pas…parce qu’on sait que peut-être on leur ressemble.


A qui ressemblons-nous désormais ? A l’adolescent exigeant, un peu bête et génial qui s’enferme dans les toilettes ? A l’adulte raisonneur, arrogant, sûr de lui, qu’est le notaire ? A la mère, pleine de bonnes intentions, qui passe à côté de tous par chagrin et épuisement d’une vie ratée ? Aux pères faibles, qui « parlent de cul » pour affirmer un pouvoir qu’ils n’ont pas ? Au vieil homme dont la bonté n’a d’égale que la lâcheté ? A la jeune fille qui rêve d’amour et qui a peur de vivre ? Aux voisins envieux, qui colportent des bruits sans savoir ?
Qui sommes nous de tous ceux là ? Peut-être un peu de chacun…


Ce n’est pas une pièce morale, elle ne délivre pas de message, ni ne donne de leçons.
C’est une pièce vivante, pleine d’énergie, de cris, de douleurs, de folie, de situations rocambolesques, c’est une pièce réjouissante, qui ose là où habituellement on reste tiède, c’est culotté, gonflé, puissant. C’est du théâtre bouillonnant.


L’adolescente en moi, celle qui n’a pas su dire en son jeune temps ce qui l’étouffait, qui a obéi à la loi adulte, et qui retrouve avec cette écriture des sentiments enfouis, cette vieille adolescente trouve aussi un projet de révolte : l’aboutissement de cette révolte sera la mise en scène de la pièce.

Magali Léris

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.