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Welcome to the future

mise en scène Alix F. Pittagula

: Note d’intention

Chaque génération aime croire qu'elle est exceptionnelle. La mienne n'en est pas exempte. Et je crois qu'elle a un peu raison. J'ai 28 ans, je suis née en 1986. Comme beaucoup d'autres, j'ai été élevée pour vivre dans un monde qui n'existe plus. Mes parents ont probablement cru que les années 80 dureraient toujours. Raté.



Je me rappelle vaguement du monde sans téléphone portable, ordinateur, internet. Je ne me rappelle pas de la chute du mur de Berlin, ni de celle de l'URSS. Par contre, je me rappelle bien de la victoire de la Coupe du monde de 1998, de la peur du « bug » de l'an 2000 et de l'attentat du World Trade Center.



Je suis la génération du chômage qui explose, de la crise financière, de la crise écologique, de la sur-médiatisation et des réseaux sociaux. Et cette situation dans laquelle on se retrouve maintenant, je la trouve absolument incroyable. Et étrangement, l'écrire est une manière de réaliser son existence, de la rendre tangible.



Le texte de Welcome to the future s'ouvre sur un chœur. C'est une parole un peu désespérée, un constat de solitude et d'ennui, une parole aussi collective qu'isolée : celle d'une génération sans âge. Cette génération, qui croit à la science comme d'autres ont cru en Dieu, est bercée par l'espoir de donner un sens suprême à son existence et, au passage, de reléguer la mort au rang de mythologie.



Prisonniers d'une auto-fiction promue par les réseaux sociaux, selfies et autres distorsions de l'image de soi, nous vivons une schizophrénie normée. Prisonniers d'un monde qui apparaît aussi civilisé, aussi abouti, aussi fini que malade et absurde, nous recevons constamment des messages contraires. Le paradoxe est pervers et peut rendre fou.



Le rêve de changer la société, cher aux générations précédentes, se transforme ici en rêve d'ailleurs. Effacer l'ardoise, et tout recommencer. Rêve d'un paradis originel. D'une terre vierge. D'un possible.



C'est dans ce contexte désenchanté que le jeu de télé-réalité Welcome to the future, qui propose d'envoyer des humains coloniser la planète Mars, apparaît soudain comme l'échappatoire rêvé.



Mais vivre sur Mars, est-ce vraiment possible ?



Finalement, peu importe. Ce qui compte en revanche, ce sont ces hommes et ces femmes, armée invisible mondiale, prêts à tout pour échapper à leurs quotidiens, prêts à tout pour l'exil.



Il y a l'histoire de Milo, candidat à l'aventure du siècle, et de ses amis qui sont les témoins de sa folle tentative. Si Milo décide de participer à l'émission, ce n'est pas pour devenir une star interplanétaire :



« C'est comme une guerre, Louise. Ce départ, ce rêve. Je sais ça a l'air dingue, je sais. Mais ça peut marcher. Pour la première fois je crois en quelque chose. Je crois qu'on peut construire un monde neuf. Enfin il se passera...quelque chose. Qu'est-ce qu'on a fait jusqu'à présent ? Qu'est-ce qu'on a accompli ? Rien ! Nos parents ? Rien ! Nos grands-parents ? Rien. Depuis trois générations : rien ! Alors on se plaint. On se scandalise. On attend que les choses changent toutes seules ou qu'un messie débarque et donne un sens à tout ça ! On regarde le monde sombrer en disant : quelle tristesse ! J'ai besoin de faire quelque chose. J'ai besoin de faire quelque chose ou je vais devenir fou. »



Astrid, Greg et Louise, ses amis, tentent de le dissuader tout au long de la pièce. Ils finissent par briser son rêve, en intervenant physiquement pendant l'émission de télé. Milo ne partira pas sur Mars.



Le texte de Welcome to the future raconte aussi l'envers du décor. Fred, O., Salomé et Céline sont investis de la mission capitale d'inventer la fameuse émission de télé. Ils sont tous un peu fous. De grands enfants. Touchants. Malades. Il y a Céline, le gourou, la grande Prêtresse ; et puis Fred, le grand chef, le producteur ; Salomé, la jeune louve aux dents longues, la présentatrice de l'émission ; enfin O., l'artiste, l'inspiré. Ils ont leurs rituels quotidiens. Ils se connaissent bien, sont tous très accomplis et très seuls. Aucun n'est en couple ou n'a d'enfant. Ils se disent qu'ils sont vraiment des gens très libres et très modernes.



Il s'agit, à la mise en scène, de considérer l'espace comme une terre vierge qui pourrait accueillir ces histoires, tournées vers l'utopie martienne. Le plateau est un espace vide, c'est un terrain vague où les personnages naissent puis s'évanouissent à coup de perruques et d'accessoires.
Avec la folle énergie du désespoir, avec une joie totale et désenchantée, nous jouons à inventer ces personnages et leurs histoires.



Avec humour mais sans cynisme, comme des enfants qui se disent "et si", les acteurs prennent l'espace à bras-le-corps, transforment eux-même un parking désaffecté en salle de cinéma ou une soirée d'anniversaire entre amis en conférence de presse.



Au plateau vide - lieu magique où tout peut advenir, où tout peut s'imaginer - s'opposent les images filmées des candidats et de Tom Winny, présentateur de télévision déchu, gourou de la prospection et de l'injonction au bonheur.
Sur un très grand écran, projetées en fond de scène, des images tournent en boucle. Sur les vidéos, les visages sont de plus en plus désincarnés, figés dans le temps, toujours identiques, vidés de leurs substances par une répétition infinie.



Face à cette immobilité, il y a la vie débordante du plateau, des corps en mouvement perpétuel, des acteurs qui se transforment et passent d'un personnage à l'autre, d'un costume à l'autre.
Au moment de la « crise » (la scène où les amis de Milo, pour le sauver, prennent d'assaut le plateau télé), la vidéo et le jeu au plateau se mélangent et se répondent totalement, ne se fondant plus qu'en un seul medium. Puis la machine implose. A la fin de cette scène, la vidéo disparaît brutalement pour laisser place aux corps, aux voix, c'est-à-dire à la plus simple expression de la présence humaine.



C'est sur ce plateau vide que s'affrontent les espoirs, les désillusions et les absurdités de ces huit personnages en proie aux angoisses et aux rêves de leur temps.



Welcome to the future, c'est le pari de redonner toute sa place à l'imaginaire et de créer à partir de presque rien. Ou presque tout. À partir des acteurs et de nos imaginations combinés.

Alix F. Pittaluga

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