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Wanted Petula

+ d'infos sur le texte de Fabrice Melquiot

: Bouli Miro pose 5 questions à Demarcy-Mota et Melquiot

Un enfant dans un théâtre, où l’assieds-tu?


Emmanuel Demarcy-Mota : À toutes les places. Au premier ou au dernier rang, qu’ils puissent découvrir un théâtre à bout portant ou déployer une vision de plan large. Aux acteurs, à la mise en scène de réussir à capter les uns et les autres, de rendre vivant le plateau et toutes les places occupées par les enfants.


Fabrice Melquiot : J’ai assisté il y a quelques années à Broadway à une représentation d’Un violon sur le toit.
Des décennies que ce spectacle réunit tous les soirs un millier de spectateurs. Au-delà de la flamboyance, de l’amplitude et de l’efficacité du truc, il y a un détail qui m’a frappé davantage que tout le reste : la présence sur scène d’un enfant d’une dizaine d’années. Il était là, muet, en costume, regardant vaguement les acteurs, vaguement le public, semblait s’ennuyer vaguement, s’amuser vaguement. Il n’avait pas une ligne à dire. C’était un enfant témoin.
De temps en temps, il disparaissait en coulisses. Puis revenait. Se promenait. Venait s’asseoir un moment au bord du plateau, repartait au lointain, amenait une chaise pour une actrice et voilà. Mais toujours regardait autour de lui, hagard, comme s’il était pris dans un rêve. Comme si c’était lui qui rêvait la chose. Comme si chacun d’entre nous était ce gosse en train de rêver. Il était là parce que c’était chez lui, tout simplement, c’était le proprio. Et parce que c’est chez lui, il s’assoit où il veut et s’il y tient, il ne s’assoit pas ; s’il veut aller faire un tour en coulisses, il peut. S’il veut tirer une barbe, il le fait. Mais comme tous les patrons, il doit ouvrir l’oeil sur sa petite entreprise, vérifier que le rêve tourne bien.


Pourquoi les enfants ne sont-ils pas les spectateurs de demain?


Fabrice Melquiot : Parce qu’ils sont des spectateurs d’aujourd’hui.


Emmanuel Demarcy-Mota : Parce qu’on ne peut préjuger de leur a-venir. Ils sont bien évidemment des spectateurs d’aujourd’hui, mais ils sont surtout à égalité avec les autres spectateurs. Selon ce qu’ils auront vécu, senti, aimé de leur rencontre avec le théâtre, ils seront peut-être les spectateurs de demain. J’aime à le croire.


Selon toi, peut-on autoriser les adultes à venir voir Wanted Petula ?


Emmanuel Demarcy-Mota : Il ne faut pas seulement les autoriser mais plutôt les obliger. Certains, comme Karl Valentin, ont pu rêver de « théâtre obligatoire ». Obligatoire peut-être, mais comme l’est une promenade au jardin des parents avec leurs enfants, une promenade nécessaire, indispensable et bénéfique. C’est peut-être la loi de la vie de s’accompagner les uns les autres et d’apprendre à découvrir ensemble une oeuvre. Nous rêvons à l’étonnement et au plaisir des plus jeunes assis à côté, ou devant nous.


Fabrice Melquiot : Seulement les adultes un peu fous, les adultes vaguement poètes pourquoi pas, les adultes qui ont l’air d’enfants, les adultes qui ne s’endorment jamais au théâtre, les adultes voisins qui peuvent venir à pied, ceux qui viennent de loin exprès, les adultes normaux qui voudraient vivre un moment exceptionnel, les adultes qui voulaient aller au karaoké et qui se sont perdus en route, les adultes qui voulaient rester chez eux et finalement sont sortis, les adultes qui aiment s’asseoir à côté des gosses et leur sourient un peu niaisement, les adultes mécènes qui voudraient soutenir l’écriture contemporaine, et puis les adultes qui n’ont rien à voir avec tout ça. Globalement, les adultes aussi sont chez eux.


Si tu devais lancer un « wanted », qui chercherais-tu?


Emmanuel Demarcy-Mota : Le petit dieu ou le petit génie, comme on veut, du bonheur.


Fabrice Melquiot : L’Île qui n’existe pas et sur cette Île la femme qui n’existe pas et tout près de cette femme le repos impossible. Je chercherais l’introuvable. Comme ça, je suis peinard pour ne jamais être tranquille. Parce que je crois qu’il ne faut pas trouver. Picasso disait vraiment n’importe quoi. Sauf quand il prétendait vouloir vivre comme un pauvre qui a beaucoup d’argent.


Quand tu « revois ton enfance », de quelles images te souviens-tu?


Fabrice Melquiot : Je me souviens du stand de tir, de la voie ferrée, du cimetière, la neige sur les hauteurs, la boucherie d’en face, les étagères de l’épicerie, la télé en noir et blanc, partout sur les fauteuils les patchworks de laine tricotées par la Nonna, il Nonno qui s’endort n’importe où n’importe quand, les barrages de pierre dans le caniveau, les cartes à jouer dans les rayons du vélo, la fontaine de la rue Sainte-Barbe, la remise avec les rats, la cave et les vessies qui sèchent au plafond, les tortues, les oiseaux, les poissons chinois, les Arabes du café Massardier, Dédé Gaudichon, Mimi son petit clébard, les poèmes pourris écrits pour personne, les catalogues de la Redoute, les cheveux de ma soeur sur lesquels je tire souvent, la première fois que j’ose la traiter de conne (regret immédiat), mes bottes à poils, mes pulls trop larges, mon blouson en skaï, la forêt, la rue, les heures passées dans la rue à glander, en trois ans les trois bagnoles qui me percutent au flanc et chaque fois je me relève et aucune ne s’arrête (je ne regarde jamais avant de traverser), le papier peint de ma chambre, les volets verts, un soir de Carnaval où je me déguise en fille de mauvaise vie (parents outrés, puis inquiets, désemparés puis franchement terrorisés), un ballon de basketball, un passe-montagne jaune, l’impression que mon père est exagérément grand et mon frère aussi, le placard dans lequel je m’enferme pour lire, retranché de tout. À part ça, j’étais en pleine santé.


Emmanuel Demarcy-Mota : Elles sont nombreuses: Celles de la sphère intime et personnelle, qui va des grands-parents aux parents, et des amis de la petite enfance. Les images colorées du monde d’ici et d’ailleurs, de mon autre pays, de la nature, des chemins parcourus ensemble – chemins de terre ou de sable – avec de grands cieux au-dessus. Certaines plantes plus que d’autres, roseaux prêts d’une source. Un poète dit « quand nous sommes enfants, nous sommes à la hauteur des plantes », mon père me répétait cela souvent. Et puis je revois ma première bicyclette.


Propos receuillis par Christophe Lemaire.

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