Metteur en scène fréquentant depuis près de 20ans la Russie, mʼétant longtemps intéressée au goulag et notamment au théâtre au Goulag, jʼai voulu aborder lʼévènement le plus marquant de lʼUnion Soviétique des années 60 : lʼenvoi du 1er homme dans lʼespace. En quoi peut-on dire que Gagarine est le dernier grand héros positif dʼune époque désormais révolue ? Quelles sont les images qui nous en restent ? Quʼest-ce quʼun héros du 20e siècle, a fortiori communiste ? Comment ça se fabrique ? Quels mécanismes de propagande cela induit ? Quʼen est-il du regard que nous portons sur lui et dans quelle mesure sommes-nous responsables de son héroïsation ? Où en est notre fascination pour le cosmos 50 ans après lʼenvoi du premier spoutnik le 4 octobre 1957 qui émut le monde entier ? Que reste-t-il du 1er homme de lʼunivers et de son sourire légendaire ? À partir de documents dʼarchives (papier, photo, vidéo et audio), de témoignages recueillis pour lʼoccasion, dʼun univers onirique musical et visuel, le spectacle explore ces questions et réinterroge notre envie ancestrale de nous élever dans les airs en quête dʼune inaccessible liberté.

Précisions historiques
Le 12 avril 1961, lʻhistoire de lʼhumanité bascule dans une nouvelle dimension. Un homme inconnu du grand public, Youri Gagarine, citoyen soviétique, accomplit une rotation autour de la Terre à bord dʼun vaisseau spatial et revient sain et sauf de sa mission. Lʼunivers nʼest plus inaccessible à lʼhomme, un des rêves les plus fous est enfin réalisé, la porte des cieux est ouverte. Le 1er homme cosmique entre dans la légende, un nouveau héros est né. Après les déclarations de Khrouchtchev lors du 20e congrès du PC soviétique sur Staline et sur les camps de travail correctif, lʼURSS doit imposer au monde une image forte et valorisante : celle dʼun homme libre, communiste, supérieur, puisque le 1er à détenir les clés du cosmos. Un an sʼest passé depuis la fermeture du Goulag, où Sergueï Korolev, inventeur du Vostok, a conçu son programme spatial. Khrouchtchev déclare : « Si le nom de Christophe Colomb qui a traversé lʼAtlantique et découvert lʼAmérique vit dans les siècles, que dire alors de notre magnifique héros Gagarine qui a pénétré le cosmos, fait le tour du globe et est revenu sain et sauf sur la Terre? Son nom sera immortel dans lʼhistoire de lʼhumanité… Avec ce vol, nous avons montré une fois de plus au monde entier de quoi est capable le génie dʼun peuple libre. » En pleine guerre froide qui oppose le bloc Est au bloc Ouest, cʼest la victoire éclatante du communisme sur le capitalisme. LʼURSS affirme sa suprématie sur les USA jusquʼen 1969 et le 1er homme sur la Lune. Grâce à ses origines modestes et son sourire enfantin, Gagarine incarne le parfait prototype du héros populaire. Accueilli partout triomphalement, le premier citoyen de lʼunivers parcourt la planète de lʼInde à la France où il séjourne à 3 reprises en 1963, 1965 et 1967.

Biographie d’un héros
Youri Gagarine est né le 9 mars 1934, à Gzhatsk, dans la région de Smolensk, de père charpentier et mère kolkhozienne. Alors que Youri sʼapprête à entrer à lʼécole primaire, en octobre 1941, lʼarmée hitlérienne envahit son village, brûle lʼécole et occupe sa maison, obligeant les Gagarine à vivre dans une tranchée pendant lʼoccupation. Apprenti fondeur, il entre à lʼécole de technique industrielle de Saratov tout en passant son brevet de pilote. En 1955, il rejoint lʼEcole Supérieure de Pilotage de lʼArmée de lʼAir Vorochilov, à Tchkalov, quʼil termine en 1957. Il rencontre sa future femme, Valentina, qui lui donnera deux filles, Elena et Gallia. Le lieutenant Gagarine commence à voler au printemps 1958. Son destin prend un tournant fatidique en 1959, quand lʼarmée le sélectionne pour devenir cosmonaute. Le 12 avril 1961, il est le premier humain à pénétrer les mystères du cosmos. Après son exploit, le Kremlin lui interdit de revoler. Gagarine ne reprend lʼentraînement quʼen 1966 et est assigné au programme lunaire. Il meurt dans un accident dʼavion le 27 mars 1968. Lʼenquête montrera que son Mig-15 avait heurté le sol à une vitesse de 600km/h, suite vraisemblablement à de mauvaises indications altimétriques de la base et à un autre avion présent dans la zone du vol. Le silence des instances gouvernementales sur les circonstances de sa mort engendra un flot de légendes qui courent encore : écarté par le pouvoir, Gagarine aurait fini en asile psychiatrique, on lʼaurait supprimé, il aurait mis fin à ses jours… Gagarine allait être promu général. Lʼurne avec ses cendres repose au Kremlin, au panthéon des héros soviétiques.

Note d’intention
Il sʼagit dʼexplorer la question du rêve, un rêve ancestral qui traverse toute lʼhistoire de lʼhumanité, le rêve de voler toujours plus vite et plus loin et de repousser les limites de lʼunivers. Il sʼagit également de replacer les enjeux de la conquête spatiale dans le contexte particulier de la guerre froide et de montrer comment lʼexploit a été instrumentalisé à des fins propagandistes. Youri Gagarine était un héros populaire, modeste, auquel le plus grand nombre pouvait sʼidentifier. La propagande a fait de lui le symbole de la conquête du cosmos, le symbole de lʼexploit de la technologie soviétique, le symbole de la jeunesse exemplaire, le symbole de lʼhomme communiste, le symbole du courage et de lʼexploit, le symbole de la supériorité du socialisme basé sur le progrès des sciences et des techniques au service de lʼhumanité, le symbole de la paix, le symbole vivant dʼune société progressiste en marche. Comme tout mythe, sa vie et son exploit ont donné lieu à une vérité officielle (celle de lʼépoque filtrée par les autorités politiques), une vérité officieuse (révélée après la chute du communisme) et à des légendes allant jusquʼà lʼhypothèse quʼil nʼait jamais volé. Prenant tous ces paramètres en compte, le spectacle se construit autour de la figure centrale du héros ; les autres protagonistes figurant tour à tour, selon les situations, son entourage proche, des savants, des personnalités politiques, des témoins... La distribution est majoritairement bilingue (franco-russe).

Mémoire de Gagarine en France
En France, de nombreuses rues et établissement portent son nom. Le premier homme cosmique fait partie de notre mémoire collective. Pas seulement de part son exploit, mais parce quʼil sʼest rendu en France à trois reprises en 1963, 1965 et 196, passant par Le Bourget, La Courneuve, Aubervilliers, Pantin, Paris, Puteaux, Ivry, Vitry, Nanterre, Levallois, Meudon, Boulogne-Billancourt, Versailles, Rouen, Tancarville, Deauville, Le Havre, Vichy, Clermont-Ferrand, Toulouse, Le Castellet, Iles de Bendor et dʼEmbiez, Marseille, Aubagne, Martigues, Port-de-Bouc, Nîmes, Alès, Metz, Hagondange, Talange, Moyeuvre-Grande, Sainte-Marie-aux-Chênes, Valleroy...
Une enquête sur les traces de sa mémoire a été effectuée auprès de la population des lieux où il est passé grâce à des appels à témoin : interviews et archives amateurs (photos, films super 8) sont utilisées dans le spectacle et rendent compte de cette mémoire.Un film et un livre sont en préparation sur ce sujet. Différentes interventions peuvent être déclinées autour des thématiques du spectacle.