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Vols en piqué...

+ d'infos sur l'adaptation de Patrick Pineau ,
mise en scène Patrick Pineau

: Note sur Vols en piqué...

par Patrick Pineau

Artiste de music-hall, Karl Valentin se fait connaitre à Munich dans les années 1910, et Brecht admirait ce « Chaplin allemand dont le comique sec – qui n’a rien de bienveillant – nous démontre l’insuffisance de toute chose... y compris de nous-mêmes. » En poussant la logique à l’absurde ou en proposant d’invraisemblables situations, ses sketches dynamitent les conventions sociales et, par le jeu des complications verbales, conduisent à un vertigineux effondrement du sens : comme dans un laboratoire, mots et situations sont scrutés avec une virulence et une malice qui distordent le quotidien et balaient le naturalisme. Dix courtes pièces forment la trame de ce spectacle de troupe, artisanal et joyeusement cacophonique.
Qu’on imagine le parti (d’en rire) que Karl Valentin peut tirer d’une Sortie au théâtre qui fait voler en éclats un couple de petits-bourgeois, ou encore de la tentative loufoque d’artistes bricolos pour faire décoller un avion dans une salle de spectacle, ou bien encore de la Conversation d’un père et de son fils sur la guerre, dont le pathétique vire à l’absurde, par l’absurdité même de la situation qui la sous-tend. Acteurs, chanteurs, musiciens, régisseurs enchaînent gags, chansons, pitreries, pour un spectacle festif : jamais l’écriture de Karl Valentin ne se dissocie du jeu et de la scène.

« Lorsque Karl Valentin s’avance mortellement sérieux (...) on a immédiatement le sentiment aigu que cet homme ne vient pas faire des plaisante-ries. Il est lui-même une plaisanterie vivante. Une plaisanterie tout à fait compliquée, avec laquelle on ne plaisante pas.” Ainsi Bertolt Brecht définit-il dans ses Écrits en 1922 Karl Valentin, auquel il voue une grande admiration. On sait peu de choses sur leur collaboration ; néanmoins l’influence de Karl Valentin transparaît dans les œuvres de jeunesse de Brecht puisqu’il écrit La Noce en pensant à Karl Valentin comédien. Mais celui-ci refuse ; c’est un isolé dans le monde du spectacle, il n’aime pas se produire au théâtre auquel il préfère les scènes des cabarets muni-chois, avec leur public de petites gens. C’est pour eux principalement qu’il crée ses sketches. C’est un musicien, un acteur, un clown, un auteur qui écrit des textes faisant référence à l’actualité, avec un goût prononcé pour les arguties et les chicanes verbales, où de nombreux personnages sont aux prises avec des conflits familiaux, l’exploitation sociale, où s’accumulent les situations absurdes, les malentendus, les incompréhensions, dans des numéros qui tiennent du cirque ou du cabaret et le situent entre les Marx Brothers et le théâtre dit  «de l’absurde».
L’intelligentsia munichoise de l’époque le surnomme  «le clown métaphysique», expression qui caractérise aujourd’hui les personnages de Beckett.
D’ailleurs, la critique parlant de Valentin recourt aux comparaisons les plus flatteuses : Chaplin, Beckett, Ionesco... (Il rêvait de devenir le Chaplin allemand, mais ne réussira pas au cinéma). Deux premiers textes se sont d’abord imposés à nous : La Soirée au théâtre et Père et fils, au sujet de la guerre.


À partir de là, il s’agissait de tenter de prendre possession de cet univers, de créer avec d’autres sketches découpés et remontés, à la manière de Karl Valentin lui-même, un spectacle cacophonique et homogène : un univers dépouillé, une forme cabaret-théâtre plus proche de Beckett que de Brecht ; plus qu’un cabaret, un univers de no man’s land où règne le sentiment de l’absurdité de l’existence, où pataugent des êtres paumés dans leurs bas-fonds, dans leur solitude, comme des enfants rejetés par le monde qui créent sur un tas d’immondices avec des matériaux de récupération un univers où se raconte leur vie.


Un univers terrifiant et comique, triste et fou, absurde et féroce, où tout le monde dit la même chose, ceux qui essaient d’aller au théâtre, ceux qui essaient d’en faire, ceux qui posent des questions métaphysiques, ceux qui se débattent contre une réalité implacable. Ils sont tous dans la même galère, et ils aboutissent à la même réflexion :  « – Mais alors, Papa, ils ne seront jamais d’accord ? – Jamais, dit le papa».


Mais comme on ne peut résister devant cette moulinette dans laquelle le monde est broyé, l’humour sera obligatoire, un humour noir et grinçant, ainsi que la musique, bien sûr, bruitages, incongruités et chansons dérisoires en tous genres.Et en dernier hommage à Karl Valentin, à sa ligne de conduite, peu de moyens, et la présence de tous sur scène : l’acteur, mais aussi le musicien, le régisseur, l’univers du spectacle.

Patrick Pineau

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