theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Villa + Discurso »

Villa + Discurso

mise en scène Guillermo Calderón
Création à partir des textes Villa de Guillermo Calderón, Discurso de Guillermo Calderón,

: Entretien avec Guillermo Calderón

Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot

Au Chili, la mémoire est-elle un thème privilégié dans les arts et, en particulier, au théâtre ?


Guillermo Calderón : Nombre d’artistes s’y intéressent. C’est tout particulièrement le cas de ceux qui, comme moi, ont grandi pendant la dictature. De plus, au Chili, la plupart des cas de violation des droits de l’homme ayant eu lieu sous Pinochet n’ont pas été résolus. Du coup, la culture a tenté de faire oeuvre de mémoire, elle s’est efforcée d’explorer ce traumatisme engendré par la cruauté de la dictature et par la négligence des institutions publiques en la matière.


Dans quelle mesure le diptyque Villa + Discurso relève-t-il de cette réflexion sur l'histoire chilienne plus ou moins récente ?


Guillermo Calderón : Le spectacle repose la question des violations des droits de l'homme depuis le point de vue d'une génération qui n'a pas directement fait l'expérience de la dictature. L'idée est de montrer que le traumatisme de la dictature est hérité par les jeunes générations. En outre, s'agissant d'un pays où justice n'a pas été faite dans de nombreux cas d'assassinat ou de torture, la société a besoin de lutter contre l'oubli. Voilà pourquoi la pièce s'attache à faire oeuvre de mémoire tout en posant la question du comment : comment se souvenir, comment entretenir la mémoire ?


Dans Villa, le premier volet de ce diptyque, il est question du devenir de la Villa Grimaldi, qui fut un centre de torture pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Le débat qui se déroule sous les yeux du public est-il le reflet de ceux qui ont effectivement eu lieu au Chili ?


Guillermo Calderón : Oui. Les survivants de la Villa Grimaldi continuent d’ en parler, tout comme nous dans le spectacle. La Villa Grimaldi est un grand parc, mais ce n'est pas que cela, plusieurs projets y sont liés : activités éducatives, musée, archives orales, ces dernières étant destinées à rassembler les témoignages des survivants.


Quelles sont les difficultés inhérentes au fait de transposer un débat d’actualité dans une oeuvre de fiction ?


Guillermo Calderón : La principale difficulté réside dans la transformation d’un débat académique en dialectique scénique. D’abord, il faut se laisser le temps de préciser les éléments du débat, de décrire les différents arguments qui sont en jeu, avant de faire débuter la discussion. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le public a des opinions très précises et tranchées sur les questions d’actualité. Chaque idée avancée dans la pièce doit donc être étayée par un raisonnement clair et précis, seul garant de l’intelligence du discours et de la mise en scène.


Quel sens revêt pour vous le fait de jouer ce spectacle dans des espaces qui au temps de la dictature furent consacrés à la torture ?


Guillermo Calderón : Dans ce spectacle, il est question d’un lieu de mémoire, la Villa Grimaldi en l’occurrence. Le fait de jouer dans un lieu qui se trouve au coeur du débat de la pièce conduit le public à réfléchir sur l’espace dans lequel il se trouve, dans lequel la pièce est donnée. Naturellement, le fait de jouer dans d’anciens lieux de torture et d’extermination peut engendrer une réaction d’ordre émotionnel, mais ce n’est pas le but. L’intention est tout simplement d’amener le public à observer l’endroit où il se trouve pour qu’il comprenne que tout espace de mémoire impose une façon particulière de se souvenir, et que cela a des conséquences politiques, historiques et éthiques.


Le public qui va voir la pièce dans ce contexte est-il différent du public habituel des théâtres ?


Guillermo Calderón : Absolument. C’est un public qui s’intéresse à l’histoire politique du Chili et à tout ce qui touche aux droits de l’homme. C’est un public progressiste, au sein duquel on trouve un bon nombre d’anciens opposants à la dictature ou leurs descendants.


Comment ce spectacle a-t-il été reçu au Chili ?


Guillermo Calderón : Je crois que le public chilien est reconnaissant du fait qu’un regard se porte à nouveau sur ce thème. Et les générations les plus jeunes s’intéressent à l’histoire de leurs parents, elles veulent la connaître et comprendre le pays dans lequel elles vivent. Le public apprécie également l’immédiateté du théâtre. Débattre d’une histoire politique récente transforme le théâtre en quelque chose de vivant et de polémique.


Et qu’en est-il quand vous jouez ailleurs, loin du Chili et dans des salles de théâtre plus traditionnelles ?


Guillermo Calderón : Ailleurs, le public ne connaît pas forcément les détails de l’histoire du Chili. Pour cette raison, il est important que les spectateurs prennent connaissance du programme avant de voir la pièce. Mais, en général, les gens ne voient pas dans ce spectacle l’expression d’une histoire strictement locale. Les violations des droits de l’homme sont malheureusement un thème qui concerne le monde entier, de même que la question de la mémoire. Un autre sujet abordé par la pièce est la confrontation des leaders progressistes avec le pouvoir, lorsqu’ils se retrouvent en situation d’administrer un État capitaliste ; c’est là encore un sujet international.


Dans Discurso, la deuxième partie de ce spectacle, il est question de l’ancienne présidente du Chili, Michelle Bachelet. A-t-elle vu le spectacle ?


Guillermo Calderón : Non, elle ne l’a pas vu. Mais sa mère, en revanche, est venue, et elle nous a dit que ce spectacle plairait sans doute beaucoup à sa fille. Michelle Bachelet est connue pour son sens de l’humour, je crois donc qu’elle apprécierait la pièce, malgré les critiques formulées à l’égard de son gouvernement.


Le théâtre que vous pratiquez est-il un théâtre politique ?


Guillermo Calderón : Totalement. Je pense à la politique à longueur de journée, il est donc naturel que mon théâtre soit politique. Et puis j’ai toujours considéré la scène comme un lieu idéal pour penser politiquement.


Quelle est votre définition d'un théâtre politique ?


Guillermo Calderón : J'aime me dire que c'est un prétexte pour que les gens de gauche se réunissent pour réfléchir. C'est un espace de libre expression de la rage et aussi d'un certain optimisme quant à la capacité de l'art à changer le monde.


Quel est le lien entre Villa + Discurso et vos pièces précédentes : Neva, Clase et Diciembre ?


Guillermo Calderón : Villa + Discurso met l’accent sur le débat d’idées, porté par le jeu des comédiennes. Ce spectacle est peut-être plus explicite que les précédents. Il fait directement référence à des personnalités politiques vivantes. Et les textes portent l’empreinte de la frustration due au retour de la droite au pouvoir, vingt ans après.


Le temps de l’écriture et celui de la mise en scène sont-ils deux moments distincts ? Le texte de la pièce est-il entièrement écrit quand vous commencez les répétitions ?


Guillermo Calderón : J’aime débuter les répétitions quand j’ai écrit environ la moitié de la pièce, et écrire ce qui manque pendant les répétitions. J’aime finir d’écrire en tenant compte du tempérament de chaque actrice ou de chaque acteur, de son sens de l’humour. Et j’aime que mon écriture se nourrisse des conversations et des débats qui émergent pendant les répétitions.


Pouvez-vous nous parler de votre dernière pièce, Beben ?


Guillermo Calderón : Ce fut pour moi une grande expérience et un véritable plaisir que de travailler dans un théâtre comme le Schauspielhaus de Düsseldorf, avec des moyens et des comédiens de haut niveau, dont l’influence sur le résultat final est évidente. J’ai écrit une pièce inspirée de la nouvelle de Heinrich von Kleist intitulée Le Tremblement de terre du Chili. C’est ce qui m’a permis d’établir un lien entre l’Allemagne et mon pays. C’est aussi la première fois que je réalise une mise en scène hors du Chili.


Les titres de vos pièces se résument à un mot, un seul. Y at- il une raison particulière à cela ?


Guillermo Calderón : J’aime la synthèse et la simplicité contenues dans ces titres en un mot.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.