À l’automne 2015, j’ai mené un atelier de recherche, intitulé Victoires, avec douze élèves de troisième année du Conservatoire national d’art dramatique de Paris, qui a conduit à des présentations publiques et à l’édition de la pièce. Le spectacle Notre innocence reprend la même trame mais n’a plus de lien narratif avec le texte publié en 2016. Écrite au fur et à mesure des répétitions, cette création est construite avec un groupe de dix-huit comédiens, âgés de vingt-trois à trente ans venus de part et d’autre de l’Atlantique. Elle porte sur l’héritage laissé à cette jeunesse, et questionne la confusion qui semble être son lot : Qu’allons-nous laisser au monde qui nous survivra, nous qui recevons un monde si peu appréhendable ? Comment parler de la réalité quand déjà cette réalité nous échappe ?

Oscillant entre le désir de témoigner et celui de raconter, Notre innocence n’en demeure pas moins une fiction, celle d’un groupe d’amis confronté à la mort brutale de l’une des leurs. Elle s’appelait Victoire, elle avait une vingtaine d’années, elle croyait aux mots qui disent les maux. Désemparés, ses amis sont obsédés par le geste qu’ils devront poser auprès d’Alabama, la fille de Victoire, âgée de neuf ans. Comment comprendre ce geste et quel geste poser pour que l’avenir demeure pour elle un horizon possible ?
Habité par de bonnes intentions, le groupe devra affronter un piège d’autant plus violent qu’il deviendra une mise à mort de l’idée que chacun entretenait sur lui-même et sur les autres. Qui aurait pu imaginer la férocité de la transformation qu’une telle mort engendrerait chez chacun d’eux ?

Wajdi Mouawad, janvier 2018