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Vaterland : Le Pays du père

+ d'infos sur l'adaptation de Cécile Backès ,
mise en scène Cécile Backès

: Note d'intention

Le son de la guerre

Dans la préparation du travail, j’écoute beaucoup de musique. Du rock. Ça tombe bien, le début des années 80 est une période féconde. The Clash, icônes du mouvement punk. Joy Division et the Stranglers, précurseurs de la new-wave à suivre. Jacno, Marquis de Sade et les Rita Mitsouko pour la France. Et Nina Hagen, berlinoise hors-normes. Je m’en souviens bien, j’avais 15 ans en 81, c’était un phénomène débordant, l’irruption de la culture rock, dans les journaux, sur les scènes, à la télé. Nous étions les enfants du rock. Nous étions les enfants de quelque chose, enfin.


Je crois que le son du rock’n’roll est né de la guerre. Qu’il incarne le souvenir des bombes. Des musiciens ont dit cela, Keith Richards, par exemple, guitariste des Rolling Stones, né en 1943 sous les avions de l’armée allemande. Le son de cette musique exprime un des visages les plus violents de la seconde guerre : il dit les bombardements, vécus dans plusieurs pays d’Europe comme le traumatisme du siècle.
Peut-être a-t-il continué de raconter les autres guerres — le Vietnam, le Cambodge, les Intifadas, le Liban, la guerre du Golfe… — sur un mode quotidien, journalier, puisque maintenant c’est la guerre tout le temps, toujours il y a un conflit armé quelque part qui s’embrase. Comme David Lescot l’a très justement remarqué, on est passé d’une pensée de la guerre événementielle à un état de guerre permanent. De Brecht à Edward Bond.


Alors que dit le « Vaterland » de Wenzel et Bloch, aujourd’hui ? Au-delà de son scénario renversant et de cette enquête dans l’Allemagne pluvieuse des 80’s ? Justement, c’est un texte porté par un jeune homme, un musicien de rock. Qui cherche son père, qui cherche ses traces. Mais pas dans la contemplation d’un héros méconnu, pas plus que dans le drame d’une enfance volée. Et ensuite, se débarrasser de cet héritage. Le poser quelque part et s’occuper de sa propre vie. « Vaterland » est le récit d’une naissance à soi-même, à son identité propre, à sa culture. Et sa culture, c’est le rock’n’roll. Sa culture est faite d’une mémoire d’enfance à Saint-Etienne pleine de bombes. Voilà le juste chemin pour traiter la seconde guerre, aujourd’hui et à ce moment de mon parcours.


Aujourd’hui qu’elle est racontée aux enfants en DVD colorisés, la guerre a rejoint les pages de l’album d’images de l’Histoire de France. Ce n’est plus de réalité dont il est question, ni de témoignage, ce temps-là est fini. Il s’agit d’images et de représentations. Pour moi, le moment est venu de penser la guerre comme fond de scène, décor lointain, série de filigranes. Il n’y a pas de volonté pédagogique dans « Vaterland » : d’autres supports font ça très bien. Il y a juste à l’évoquer. Il n’y aura aucune image littérale, ni visuelle ni sonore. Mais des traces, des signes pensés comme des traces de la guerre. De la musique, et d’autres images sonores. Et d’autres images, filmées, viendront évoquer les rues des villes dévastées.


« Vaterland », s’il ne propose pas de point de vue sur la guerre, est en revanche un récit né de la guerre. Un roman familial, mélo sauvage, les pieds dans la boue de la guerre et de l‘Occupation. D’une génération à l’autre, rien n’a été dit. Dans cette absence de paroles est arrivé le son pour raconter la guerre.
Certains visages de la guerre sont impossibles à dire, alors la musique a pris le relais.


C’est une histoire d’absence de transmission, « Vaterland ». C’est ça que j’ai envie de raconter, comment se transmet une histoire comme celle-ci, comment naît la musique dans les trous de paroles, comment le cri des bombes enfante des riffs de guitare.

Cécile Backès

octobre 2009

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