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Variations sur la mort

+ d'infos sur le texte de Jon Fosse traduit par Terje Sinding
mise en scène Claude Régy

: La vie et la mort des cellules

Nous naissons avec les morts,
Regarde...
T.S. Eliot, Four Quartets



La mort semble préécrite au cœur même de la cellule, comme une potentialité prête à se réaliser.


Une cellule peut à la fois vivre et mourir : à un moment donné, en un lieu donné, dans la cellule, une décision est prise, un choix est fait.


Des termes et des concepts tels que « le choix de vivre ou de mourir », ou la « décision du suicide », nous renvoient à ce que nous associons le plus profondément à l’idée de nature humaine : le libre-arbitre, et le pouvoir ultime de décider de mettre fin à notre existence.


Le suicide


L’acte philosophique authentique est le suicide ; c’est là le commencement réel de toute philosophie.
Novalis


Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie.
Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe


Après avoir cité Novalis et Albert Camus et s’être référé à la mythologie, à la littérature et à la philosophie, le biologiste Jean-Claude Ameisen parle de suicide cellulaire et de mort créatrice. Il nous révèle le suicide quotidien de centaines de milliards de cellules dans notre corps.


Pour lui, vivre, c’est porter au plus profond de soi la potentialité de se donner la mort.


Ce que nous distinguons à travers les branches du vivant, c’est une série de plus en plus riche de variations sur un thème. Différentes modalités d’auto-organisation – et différentes potentialités d’autodestruction – se côtoient dans une même espèce (et d’autres encore dans différentes espèces).


à l’âge adulte, des régions entières de notre corps, à chaque instant, disparaissent, renaissent et se recomposent.


Nous sommes constitués de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules, réparties en plus d’une centaine de familles différentes, formant plusieurs dizaines d’organes et de tissus.


Chaque jour, probablement, plus de cent milliards de nos cellules se dédoublent pour produire du vivant, en moyenne plusieurs millions à chaque seconde.


Chaque jour, probablement, plus de cent milliards de nos cellules s’autodétruisent – plusieurs millions par seconde.


Comme le phénix nous renaissons chaque jour, en partie, de nos cendres.


Pour s’autodétruire les cellules fragmentent leur corps et leur noyau, effaçant la bibliothèque de leurs gènes, et disparaissent, englouties par les cellules environnantes.


Leur mort, discrète, rapide, inapparente, ne cause aucune lésion. (Pas de traces).


La succession effrénée de naissances et de morts et les rites funéraires qui règlent ce ballet incessant n’ont pas pour seule conséquence de nous reconstruire en permanence. Ils ont aussi des effets encore mal connus sur l’économie énergétique de nos corps.


Il se pourrait que la quantité de cellules qui disparaît en nous chaque jour soit de l’ordre d’un kilo – un kilo de protéines, de sucres, d’acides gras, d’acides nucléiques – de la matière dont sont composés nos corps.


Nous nous nourrissons en permanence d’une partie de nous-mêmes.


Vivre, se construire en permanence, c’est utiliser des outils qui permettent de s’autodétruire, et être, dans le même temps, capable de réprimer cette autodestruction.


Nous sommes chacun une nébuleuse vivante, un peuple hétérogène de milliards de cellules, dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit. Aujourd’hui, nous savons que toutes ces cellules ont le pouvoir de s’autodétruire en quelques heures. Et leur survie dépend, jour après jour, de leur capacité à percevoir les signaux qui empêchent leur suicide. Cette fragilité même, et l’interdépendance qu’elle fait naître, est source d’une formidable puissance, permettant à nos corps de se reconstruire en permanence.


Une cellule se déconstruit et se reconstruit en permanence, ingérant et transformant des nutriments, stockant et produisant de l’énergie, renouvelant ses constituants, assemblant, détruisant et réassemblant les protéines qui la composent.


Une cellule est une entité fluide, dynamique, en équilibre instable, échappant sans cesse à l’effondrement à mesure qu’elle se renouvelle.


à l’image ancienne de la mort comme une faucheuse brutale se superpose une image radicalement nouvelle, celle d’un sculpteur au cœur du vivant, faisant émerger à la fois la forme et la complexité du vivant.


Cette nouvelle vision bouleverse l’idée que nous nous faisons de la vie.


à propos des organismes unicellulaires


Dans un organisme unicellulaire, des cellules peuvent révéler les liens profonds qui les unissent en composant soudain un « corps » multicellulaire compact et transitoire.


L’étude des organismes unicellulaires révèle la forme la plus simple que peut prendre un « corps » : une colonie, composée, en apparence, de cellules autonomes, indépendantes les unes des autres; en réalité, une « colonie-individu », parcourue de signaux qui tissent les liens invisibles de l’interdépendance, faisant déprendre la survie de chaque cellule de la présence, de la proximité et de l’activité des cellules qui l’entourent.


D’après La Sculpture du vivant,
Jean-Claude Ameisen, Éditions du Seuil, Paris, 1999

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