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Une Souris grise

+ d'infos sur le texte de Louis Calaferte
mise en scène Jean-Noël Dahan

: Présentation

J'ai commencé à travailler sur cette pièce car je la croyais drôle. "Enfin une comédie !…" Je pensais que cela me changerait d'une certaine gravité que pouvaient connoter mes précédents spectacles. Théâtre contemporain etc. Nous sommes tombés sur les codes de la comédie. Qu'est-ce que la comédie ? Que faire de cette façon de jouer les comédies, qui nous a été transmise on ne sait trop comment ? Succomber à ces codes rendait la lecture de la pièce insupportable au bout de quelques pages. Les acteurs avaient l'impression de "pousser" sans répit. Evidemment, revenir au texte. Faire table rase. Ecouter ce qui est dit. Cela devenait happant, tenable, curieux. Enfin le relief et la composition du texte commençaient à émerger. Dans la première scène, entre Charlotte et Ludovic, on aperçoit le chantage de la "petite voiture de pompier". Une mère faisant du chantage à son fils avec un joujou, pour qu'il se tienne bien et que les apparences soient sauves. Qu'est-ce qui nous est transmis ? Au théâtre ? Dans la vie ? De quoi héritons-nous lorsque nous voulons rire ? Est-il indécent de rire ?...


Cette comédie soulève une autre question : jusqu’à quel point suis-je prêt à tout perdre du jour au lendemain ? C’est la question à laquelle le père s’imagine être confronté. «Si ta tête ne lui revient pas, tu peux aussi bien te retrouver éliminé du jour au lendemain...» Aborder cette peur du lendemain, lié au risque de perte, de précarisation, constitue selon nous un premier intérêt du texte, un premier pond avec aujourd’hui.


De là, l’arrivée du patron, de «l’obstacle social», impose à chacun de «faire bonne figure». Et c’est cette question importante à nos yeux : jusqu’à quel point peut-on mettre de côté ce qu’on est ? Dans cette comédie, on est rattrapé par son ventre, ses intestins, le corps s’en mêle et clame bas et fort cette hypocrisie qu’on ne saurait voir. Les personnages ne cessent de chercher des solutions d’urgence pour cacher leur inquiétude. C’est la patate chaude. Et la dimension scatologique n’est qu’une métaphore de cette fuite. Le caca est le reste non-négociable, la merde dont personne ne veut, la vérité. «La vérité, la vérité !... Qu’est-ce que tu veux dire à des gens que tu ne connais pas ?…»


Montrer comment chacun ne parvient pas à s’arranger avec sa vérité rejoint un projet plus global, contenu selon nous dans ce texte, de subversion de la notion d’identité. Toute prétention à l’identité y est démise, car tout usage d’une identité fixe y devient pervers. Ce n’est bien sûr pas un texte stéréotypé ou raciste (Allemand/Français...) mais au contraire un texte qui dénonce les stéréotypes et le racisme de ses personnages. Car poser une identité, c’est orienter a priori le désir de la personne - mettre en avant une fonction «respectacle» pour rejeter de fait en arrière-fond des noirceurs que Calaferte va se faire une joie de révéler. Comme il y a «une mère» et «un fils», alors la mère est intrusive et le fils, manipulateur. Par ailleurs le fils semble copier le père, en miroir, jusqu’à tomber malade de la même façon. Et comme le père est «un employé», il va devenir une victime de son «patron», dès lors transmué en tyran - au même titre que Madame W., «l’épouse» du tyran, est réduite à l’état de marionnette. Sorte de «Feydeau après la psychanalyse», Calaferte nous amuse en travaillant ainsi l’inconscient de ses personnages.


Enfin on ne peut manquer de mentionner un second degré de lecture lié au projet européen. La pièce ne cesse de donner une certaine image de la relation franco-allemande. On sourit par exemple que «Bruxelles» soit le mot-signal choisi «au hasard» par les Bernachon pour s’informer de leurs diarrhées intempestives, toujours bien sûr lorsque la pression exercée par le voisin venu de l’Est se fait trop pressante...


Le texte de Calaferte aborde ainsi le thème de la violence au travail (obligation d'être sur-productif, jamais malade, sous peine d'être licencié…). Thème certes souvent abordé aujourd'hui, mais qui a dans ce texte au moins deux spécificités. D'une part, la violence au travail est ici envisagée dans la famille, à travers ses répercussions sur la famille. D'autre part, cette violence s'inscrit dans le contexte de la mondialisation (c'est un patron étranger qui apporte de nouvelles méthodes…).

Jean-Noël Dahan

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