theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Une nuit arabe »

Une nuit arabe

mise en scène Chloé Brugnon

: Entretien avec Cholé Brugnon

réalisé par Anne Berest

Comment avez-vous découvert cette pièce de l'allemand Roland S. ?


Un peu comme on fait une rencontre le plus souvent, c’est-à-dire par hasard. J’ai lu cette pièce tout simplement parce que l’extrait que j’avais trouvé sur internet me plaisait. Une nuit arabe est la première pièce de Roland Schimmelpfennig que j’ai lue. Je ne savais alors rien de cet auteur, si ce n’est qu’il avait été dramaturge associé à la Schaubühne de Berlin. Dès la première lecture, j’ai été frappée par l’étrangeté de cette pièce, le mélange des genres qu’elle propose, et en même temps par sa langue simple, triviale parfois, mais qui se complexifie par le rythme, la construction et la déconstruction des actions et de la prise de parole.


Qu'est-ce qui, dans cette pièce, vous a donné envie de la mettre en scène ?


Aujourd’hui je dirais que toutes les énigmes que pose cette pièce me donnent envie de la mettre en scène: l’histoire se passe dans un immeuble de dix étages, les personnages ne se parlent presque jamais mais décrivent chacun de leurs faits et gestes, leurs sensations aussi ; il y a du rêve, de l’abstrait suivi d’actions des plus concrètes : descendre des escaliers, se servir à boire, ranger les courses... Ces énigmes sont tout autant d’enjeux, de défis à relever. Pourtant au départ la combinaison de ce qui est de l’ordre du quotidien et de ce qui est fantastique m’est apparue extrêmement limpide. Il y a du mystère dans cette pièce mais pas de confusion, c’est ça qui est attirant. On croit trouver une réponse mais la vérité semble toujours nous échapper, comme dans la vie. Il n’y a pas une réponse. Alors évidemment cela donne envie d’essayer, de jouer, de tenter des choses, et c’est pour moi la base de l’envie de faire du théâtre.
Le style d’écriture de cette pièce enfin est à lui seul un défi pour la mise en scène. Le dialogue consensuel, simple moyen de communication, se transforme en une parole intime : les personnages disent ce qu’ils font, ce qu’ils ressentent, et nous livrent ainsi l’intérieur et l’extérieur de leur être. Comme si on donnait à entendre une voix inconsciente, celle qui scrute le moindre détail, qui note les regards, les attitudes et les secrets de tous ceux qui nous entourent, sans qu’ils s’agissent de monologues intérieurs. Il y a bien des rencontres entre ces personnages, qu’elles soient abouties ou inachevées. C’est une sorte de voyage vers l’autre dont le trajet se fait à l’intérieur de soi.


Quels sont les thèmes qui vous touchent ?


La solitude, évidemment, mais une solitude de ville, c'est-à-dire la solitude au milieu d’une foule, être seul quand on est entouré d’une multitude de personnes qui vivent à moins de deux mètres, en dessous, à côté ou au dessus de nous. Ce qui m’intéresse c’est que Schimmelpfennig ne fait pas le constat d’une solitude mais raconte la tentative d’y échapper. Chacun des personnages de cette pièce tente d’une certaine façon d’entrer en contact avec l’autre, comme si cette nuit était la nuit de tous les possibles : ce soir je vais parler à la voisine d’en face, ce soir je découvre que le concierge est charmant, ou plus simplement, et si ce soir les choses changeaient...
C’est aussi la vie de tous les jours qui s’y présente. S’il y a dans cette pièce une dimension très poétique, onirique, tout part du quotidien, des petits détails de la vie. Autrement dit le rêve est à portée de mains. Ce texte nous révèle qu’il y a dans les fantasmes, dans les rêves enfouis de n’importe quelle personne, la plus ordinaire soit- elle, de la folie, des désirs inavouables et inassouvis. C’est aussi une façon de dire : nous pensons tous à la même chose quand nous rentrons dans nos appartements respectifs, nous avons les mêmes regrets, les mêmes envies, les mêmes pensées que nos voisins, alors que se passerait-il si nous les donnions à voir ?


Dans quelle mesure ces personnages issus de la société allemande font-ils échos à la société française ?


Ces personnages ne sont ni allemands, ni français, ils sont des figures : le concierge, le voisin d’en face, le petit ami, les colocataires. Je ne crois pas que l’enjeu de cette pièce soit de décrire une société, même si l’immeuble, la mobylette, les sacs de courses, nous renvoient à un quotidien d’occidentaux. En fait cet immeuble pourrait se trouver dans n’importe quelle ville, et puisqu’à travers les rêves de ces personnages on se retrouve à Istanbul, dans le désert, sur un ferry, on peut même se demander quelle est la réalité de l’immeuble, peut-être est-il lui-même un lieu fantasmé, rêvé...
C’est certainement cette absence de localisation précise qui donne à la pièce toute sa force : nous nous retrouvons tous dans les personnages de cet immeuble, qui est une sorte de microcosme, de laboratoire dans lequel on aurait enfermé des individus pour mieux les étudier.
Je pense également aux coupes transversales que l’on fait pour observer la composition d’un cheveu, d’une cellule ; on peut dire que c’est à une sorte d’expérience que nous convie Schimmelpfennig, avec pour cobayes cinq personnages apparemment ordinaires, qui pourraient être vos propres voisins.


Quelles sont vos influences artistiques pour ce spectacle ?


Pour commencer, il y a les influences que l’on veut bien se donner. Le lien apparent entre le mode d’écriture de Schimmelpfennig et les films de David Lynch me conduit à trouver dans les films de ce dernier une inspiration évidente. Mais ce monologue- dialogue n’est pas sans me faire penser aux films américains des années 40 qui utilisent la caméra subjective et les voix-off comme dans les Passagers de la nuit, ou bien au film de Chris Marker La jetée, histoire racontée par la voix d’un narrateur qui accompagne une succession d’images fixes. Pour le moment, ce ne sont que des sources d’inspirations, mes véritables influences artistiques viennent très naturellement du parcours théâtral qui m’a conduit jusqu’à cette première mise en scène, à savoir notamment de nombreux assistanats.


Avec Ludovic Lagarde, le travail sur les textes d’Olivier Cadiot (Un Nid pour quoi Faire et un Mage en été ) m’a fait découvrir l’utilisation du micro au théâtre, la recherche de l’intériorité que cela permet, de l’intimité des sensations. Faire entendre en grand ce qui est petit. Egalement l’idée que le texte est une partition, dont certains passages se jouent en mineur, d’autres en majeur.
Et puis, l’année dernière j’ai assisté trois jeunes metteurs en scène, invités par Ludovic Lagarde, Emilie Rousset, Simon Delétang, Guillaume Vincent, et cette année Mikaël Serre. Tout autant d’univers, d’envies et de rapports au théâtre différents, qui influenceront plus ou moins consciemment ma façon d’aborder mon propre travail de mise en scène.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.