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Une Famille ordinaire

+ d'infos sur le texte de José Pliya
mise en scène Annie Pican

: Présentation

NOTES DE L’AUTEUR


"Le génocide rwandais reste pour moi un point d'incompréhension et d'interrogation sur la nature du mal. Je voulais écrire sur ce conflit mais trop d'émotion à la lecture des archives, pas assez de distance historique pour traiter le sujet comme je le désirais. Les rwandais


n'ayant pas le monopole de la "barbarie" j'ai cherché dans notre histoire mondiale un autre point d'horreur et j'ai trouvé la seconde guerre mondiale et j'ai trouvé l'Allemagne et la famille Abraham. En vérité "une famille ordinaire" n'est ni un récit historique, ni un récit de guerre. C'est mon histoire, l'histoire de ma famille vu en négatif comme pour exorciser le malheur, le mal tout court. Je me suis dit, que serais-je devenu si mon père, mon oskar Abraham à moi, ne m'avait pas aimé? Fort de cette question en forme de cauchemar, j'ai écrit cette pièce et tout le reste - les hutus, les allemands, les guerres...- n'est que prétexte. C'est autour de ce noeud familial qu'Isabelle et moi nous sommes rencontrés. Elle est la première qui, à propos de ce texte qui fait si peur aux directeurs de théâtre, m'a parlé de liens, de regards, de silences, de mésamour et de malentendus. Elle m'en a parlé avec passion, avec conviction de son regard si noir, si déterminé. Je lui fait confiance et je sais qu'elle en fera un objet dramatique singulier, intime, personnel. Je suis ravi de la compter dans ma "famille".

José PLIYA




NOTES DE MISE EN SCENE


1939- 1945- La pièce se déroule dans un lieu unique : la maison. Six années passent aux sons de fourchettes et d’assiettes, au rythme quotidien des repas. Il y a Oskar le père, sa femme Elga, leur fils Julius, sa femme Dörra, et leur fille Véra. Trois générations vivant sous le même toit. Une promiscuité qui favorise un imbroglio de sentiments, où chacun perd ses repères peu à peu. Cette maison devient au fur et à mesure des tableaux, un champs de bataille. La culpabilité, la rancune, les rancoeurs, le manque d’amour, les projections d’avenir, l’éducation, l’acceptation se déballent autour de la table. Comme des papillons affolés par trop de lumière, nos personnages se heurtent aux réalités. Une autopsie de la famille qui devient de plus en plus pesante et précise au cours du spectacle. Un miroir où chaque spectateur est à même de piocher des parcelles de sa propre vie. Le monde de la guerre entre dans cette maison par le biais du fils, qui s’est porté volontaire, et par l’arrestation des voisins. La famille Abraham, en l’absence du fils, s’acharne à vivre comme d’habitude, en se cramponnant à un rituel familier. Les repas deviennent alors la boussole de leurs vies.
De mon côté je ne cherche aucunement à minimiser la seconde guerre mondiale, ni les atrocités qui s’y sont produites, mais je refuse de diaboliser cette époque, ce qui aurait pour effet de la distancier de nous, de notre quotidien. Ce n’est pas tant cette guerre qui est sur scène mais toutes les guerres, tous les massacres ethniques et religieux. En parler au travers de la focale d’une famille ordinaire, c’est adopter un langage universel c’est englober toutes les familles de toutes les religions, de toutes les couleurs, et toute l’humanité, face aux ignominies et aux barbaries de la guerre.
« Une famille ordinaire » est divisée en deux temps : la vie de la famille Abraham durant la période de 1939-1945, et les récits de Véra, fille de Julius et de Dörra, de nos jours. La fille est le fil conducteur de la pièce, elle nous parle de Hambourg, de Francfort, et nous livre, sous forme de témoignages, les portraits respectifs de chaque membre de sa famille. L’opposition entre la parole de Véra et la vie réelle des Abraham, donne au spectateur un sentiment de stupeur, car elle permet de peindre les bourreaux comme des gens aimants avec une vie ordinaire. Les portraits de Véra représentent des pères, des mères, des grands parents, et non
des ovnis vivant sur une autre planète. Il est parfois plus facile de croire que toutes ces horreurs sont loin de nous, mais je rejoins totalement Pliya sur le point de vue que toutes les monstruosités sont en nous et qu’il suffit d’exister pour être capable de commettre le pire des crimes.


« L’homme a en lui un besoin de haine et de destruction. En temps ordinaire, cette disposition existe à l’état latent et ne se manifeste qu’en période anormal ; mais elle peut être éveillée avec une certaine facilité et dégénérer en psychose collective… »
A. Einstein.


« Nous admettons que les instincts de l’homme se ramènent exclusivement à deux catégories : d’une part ceux qui veulent conserver et unir ; nous les appelons érotiques ou sexuel…d’autre part, ceux qui veulent détruire et tuer ; nous les englobons sous les termes de pulsion agressive ou pulsion destructrice….Ces deux catégories sont tout aussi indispensables l’une que l’autre ; c’est de leur action conjuguée ou antagoniste que découlent les phénomènes de la vie… »
S. Freud.


Pour marquer ces deux périodes, je me servirai de la scénographie, en découpant l’espace scénique en deux parties; d’un coté un appartement des années trente, pour la vie de famille des Abraham, et de l’autre un écran où sera projeté Véra de nos jours, dans une action en temps réel, c’est a dire la durée du spectacle. Ses témoignages seront en voix- off, tandis que nous la suivrons dans son quotidien d’aujourd’hui. Faire vivre Véra sur le plateau à travers un film, c’est accentuer la juxtaposition bourreau/père aimant avec l’association théâtre/cinéma. C’est également accepter que l’un et l’autre soient ensemble intimement lié.


La direction d’acteur
Parler de la famille implique la recherche d’un langage commun, décliné par chaque membre de la famille : des tiques, des expressions, un rythme, autant de choses qui s’héritent d’une vie commune. Mon premier travail avec les acteurs est de les amener à parler la même langue, de construire ensemble une grammaire corporelle propre à cette famille. Pour cela il faut d’abord comprendre psychologiquement le parcours de chaque personnage dans la pièce, décortiquer toute relation humaine, pour enfin comprendre et savoir ce qui se joue. Un travail laborieux qui est à mon sens la base de la direction d’acteur. Si l’acteur ne sait pas ce qu’il joue, ni pourquoi il le joue, alors le spectacle devient mécanique et sans âme. Comprendre la psychologie d’un rôle n’implique pas forcément un jeu réaliste, au contraire ; Elle donne à l’acteur un fil conducteur qui lui offre une plus grande liberté et une plus grande confiance pour oser une pureté dans le jeux : aucune scorie du corps ; agrandir ou amoindrir ses gestes ; avoir une conscience totale du moindre mouvement. L’esthétique, ou la forme, ne doit pas étouffer la psychologie, mais elle doit la soutenir et l’aider à élargir les sentiments. Rentrer dans la forme avec ce fil conducteur permet alors une plus grande folie dans le jeu. La grammaire corporelle propre à la famille Abraham se trouvera au cours des répétitions, par un mélange de propositions de chaque acteur, un patchwork de quatre personnalités, qui deviendra au fur et à mesure le langage de cette famille.


Isabelle Ronayette




Le film


À l’origine du projet d’Une Famille Ordinaire, Isabelle Ronayette, la metteur en scène, et moi avions envie de mêler nos passions, celle de l’une pour le théâtre et celle de l’autre pour le cinéma. Complémentaires et complices depuis des années maintenant, si à chaque fois qu’Isabelle monte une pièce de théâtre elle me demande de l’assister à la mise en scène, de la même manière lorsque je me lance dans un nouveau projet de film, je lui demande d’être un des personnages principaux.
Cinéaste expérimentale ou différente, je n’ai pas pour autant renoncé aux acteurs ni aux personnages. La figure humaine est au cœur de mes films. Dans Une famille ordinaire, l’être humain est au centre de la dramaturgie, est le nœud de la tension dramatique. Avec Isabelle, nous nous sommes entendues sur le fait que l’un des personnage serait l’axe principal du film. Un être cinématographique fait d’ombre et de lumière aux côtés des autres personnages, eux en chair et en os. Un personnage cinématographique à égale distance des spectateurs dans une égale durée de représentation. Véra la narratrice de la pièce à jamais fixée dans l’image raconte une histoire ancienne, celle de son enfance, celle de sa famille allemande pendant la seconde guerre mondiale. Histoire d’un passé narré chaque soir, à chaque représentation, faisant revivre sur le plateau ses parents et grands parents, acteurs présents durant la représentation théâtrale. Juxtaposer théâtre et cinéma, c’est tenter une bipolarisation de l’attention du spectateur, en alternance le plus souvent, en parallèle quelques fois. C’est opposer et/ou compléter les propos et les époques dans une même réception. Spectacle en contrepoint et contrepoids, métaphore de la complexité de l’être, humain et inhumain à la fois.


« There is no document of civilization witch is not at the same time a document of barbarism. »
Walter Benjamin


Le film est principalement composé d’une voix-off, Véra qui raconte et d’un plan-séquence.
Aujourd’hui, à Hambourg, Véra, une femme âgée, se prépare à déjeuner, met la table, mange, débarrasse, fait la vaisselle, s’installe dans un fauteuil pour lire un magazine avant de sommeiller doucement. Puis elle se prépare à sortir, change de vêtements et attends, jetant ça et là quelques coups d’œil à la fenêtre. Le plan-séquence est la strate de l’éternel recommencement sur laquelle se surimpressionnent des images en Super 8. Support des films d’amateur, des films de famille par excellence, le Super 8 apparaît lui comme intemporel, quelque que soit l’époque de la prise de vue. C’est du souvenir, de la mémoire en ruban. Des rubans de pellicules, verticales comme un rideau de cuisine, écran, miroir ou paravent. Véra est d’hier et d’aujourd’hui. Universelle, Véra est d’ici, d’Allemagne ou de là-bas, d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-orient.


« Il y a une contradiction flagrante entre l’expérience qu’on a de la vie – enfance, jeunesse et vieillesse écoulées paisiblement et sans grandes péripéties – et les réalités du XXe siècle (…), les événements terribles que l’humanité à traversés »
Julio Caro Baroja (anthropologue, Espagne)




LA SCÉNOGRAPHIE


L’espace scénique est partagé en deux parties. D’un côté, un appartement typique des années 30, habité par une famille de classe moyenne, est reconstitué dans ces moindres détails. Tel un décor de cinéma, l’appartement se veut hyper-réaliste. De l’autre, un film présente des fragments de la vie de Véra. Le regard du spectateur se porte d’un bord à l’autre du plateau, de l’appartement vers l’espace filmique comme les personnages de la pièce qui n’en finissent pas de répéter leurs allées et venues, repas après repas.
La scénographie reconstitue un fragment d’appartement, auquel on aurait ôté quelques murs pour mieux «voir», une sorte de maison de poupée dans laquelle toutes les pièces de la maison sont visibles et juxtaposées. Ainsi, se déroulent dans le même espace toutes les pièces d’un appartement : cuisine, salle à manger, salon, chambre,… la salle à manger étant le point d’attraction des activités. L’appartement peu profond s’étire en longueur, permettant à diverses actions «muettes» et secondaires de dialoguer visuellement avec des scènes plus centrales.
La scénographie propose un espace marqué par la promiscuité. Promiscuité entre les personnages : l’appartement est exigu, et promiscuité avec le public : l’appartement est placé au bord du plateau et invite le public à l’observation rapprochée. Il expose les personnages en les obligeant à vivre sous la loupe du spectateur. Le plateau devient un vivarium pour qui sait interpréter les mouvements humains.


Annabel Vergne

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