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Un qui veut traverser


: La Pièce

genèse


Lors d’un travail préparatoire sur une précédente pièce pour lequel je m’intéressais aux « vagabonds », à ceux qui ne trouvent pas leur place et se sentent étrangers au monde, j’avais ébauché quelques lignes mettant en scène, chaque fois, un clandestin et un passeur. J’ai ensuite continué ce travail - une tentative de mieux comprendre, par l’imaginaire, ce qui se joue dans ce choix insensé : quelle force anime le voyageur, et quelles stratégies met en oeuvre le passeur, à la fois pour dissuader, orienter, exploiter le désir de l’autre. Je suis parti d’un décor transposable partout, une plage d’où l’on part.


Parallèlement au travail purement littéraire, j’ai commencé à me documenter sur le sujet. Notamment avec les ouvrages des journalistes Serge Daniel et Fabrizio Gatti, qui ont suivi les filières de l’émigration clandestine, de l’Afrique subsaharienne à Lampedusa, au large de la Sicile. De nombreux articles de presse m’ont fourni des détails précieux. Bien souvent la rêverie initiale a trouvé des confirmations inattendues dans le réel, notamment sur certaines pratiques, certains passages obligés pour les clandestins. Petit à petit, j’entrai de plein pied dans le parcours infernal vécu par les candidats à « l’aventure » (nom donné par les clandestins eux-mêmes à leur voyage). Je découvrais le business de l’émigration, les rouages internationaux, le rôle des Etats, etc., sans pour autant m’écarter de mon impulsion de départ : essayer de décrire un acte humain en tant qu’observateur imaginaire, au plus près des faits.


l’écriture


La forme prise par la pièce s’oriente clairement vers un récit, une sorte de didascalie générale qui indique ce que font et disent les personnages. Les dialogues, à deux, à trois et parfois plus, occupent une place importante mais sont pris dans le fil du récit.


Le personnage principal est « un qui veut traverser », sans identité précise, hors ce désir. Il représente à lui seul la masse des clandestins et vit en quelque sorte plusieurs vies. Il pourra ainsi mourir et renaître. On peut parler d’identité collective, d’être générique. Il sera aussi bien ouvrier d’usine, géographe, journaliste, sans que ces caractéristiques ne prennent une importance considérable. Les noms propres (Moïse, Mara-Mara, etc.) concernent toujours les personnages qui orientent l’histoire, des êtres « extérieurs » à celui ou celle qui avance vers son but. Puis, au fil du récit, ce personnage principal se démultiplie selon différentes trajectoires. Voilà ce que sont en réalités les héros de ce récit : des trajectoires.


On retrouve ce personnage dans différentes situations, pas forcément successives dans le temps. Mais comme si le récit se recommençait sans cesse, envisageait des possibilités. Les sauts d’une possibilité à une autre permettent à la fois des sauts dans le temps et dans l’espace. Comme s’il s’agissait d’un montage de séquences au cinéma, on passe du rivage à la pleine mer dans un va-et-vient qui n’a d’autre justification que les caprices du récit.


Je pense à ces fresques ou à certains bas-reliefs, où l’artiste dessine des foules humaines pour représenter des batailles, des expéditions, des pèlerinages. Les identités se perdent au profit d’un paysage humain en mouvement.


traverser


Voici ce qu’écrit Paul Virilio en 2009 pour l'exposition Terre natale, ailleurs commence ici.
« Le XXIème sera le siècle des grandes migrations. Toute la situation du monde va être perturbée par la crise de localisation. Les sociétés anciennes étaient inscrites dans un territoire, la terre natale. Aujourd'hui elles dérivent pour des raisons de délocalisation de l'emploi, pour des raisons de conflits qui n'en finissent pas. C'est toute l'histoire qui se remet en marche, c'est toute l'histoire qui prend la route (...) Aujourd'hui le sédentaire est celui qui est partout chez lui, grâce aux télécommunications, grâce à l'interactivité. Et le nomade, celui qui n'est nul part chez lui. Sauf dans les camps de transit ».


Quitter son pays illégalement n'est plus seulement aujourd'hui un acte lié à des circonstances particulières, locales ou momentanées, mais un phénomène continu, massif et planétaire. En Afrique, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, partir sans autorisation administrative est devenu une nouvelle forme de l’économie de marché, dans laquelle des dizaines de milliers d’individus sont contraints à chaque instant de risquer leur vie. Traverser, atteindre l’autre côté, ou mourir. Et il ne s’agit pas de découverte, d’aventure ou de conquête, mais d’exil, de mort, de survie, de fuite.

Marc Soriano

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