theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Un conte de Noël »

Un conte de Noël

+ d'infos sur l'adaptation de Julie Deliquet ,
mise en scène Julie Deliquet

: Entretien avec Julie Deliquet (1)

Propos recueillis par Agathe Le Taillandier

Pourquoi avoir choisi un scénario de cinéma, celui d’Un conte de Noël, d’Arnaud Desplechin, pour cette nouvelle création du collectif In Vitro ?


Julie Deliquet : Ce choix n’a pas été soudain, il s’inscrit dans une démarche artistique, un tournant aussi dans le parcours du collectif. Au moment où je me suis intéressée au scénario d’Un conte de Noël, j’étais en plein dans l’adaptation d’un autre scénario avec la mise en scène de Fanny et Alexandre, d’Ingmar Bergman, présentée à la Comédie-Française. Shakespeare aussi m’interpellait et j’ai vite réalisé que l’œuvre d’Arnaud Desplechin induit et cite même à différents endroits le dramaturge. Après avoir pratiqué longtemps l’écriture de plateau avec In Vitro, j’avais envie de mener un dialogue avec un auteur qui affirme une langue contemporaine, avec un cinéaste vivant.
Arnaud Desplechin a immédiatement accepté sans m’imposer aucune contrainte pour mon adaptation. Je ne m’y attendais pas du tout ! Cette liberté totale était nécessaire pour mon adaptation, pour que je puisse y invoquer pleinement le théâtre – comme par exemple avec la scène du spectacle que montent les enfants – ou évacuer certaines séquences trop cinématographiques comme les flashbacks. Sa langue est très riche, épaisse, il y a énormément de matière, je ne peux de toute façon pas tout garder. Mais au théâtre, on a un rapport beaucoup plus déconstruit au récit qu’au cinéma. Par exemple sur scène, on n’a pas besoin de présenter un personnage de but en blanc, de tout expliciter au fur et à mesure : le spectateur accepte davantage d’être malmené. Enfin, ce scénario fait écho à de nombreuses problématiques qui m’habitent, comme la maladie (je viens de terminer un court métrage autour du cancer pour La 3eScène de l’Opéra de Paris). Mais il réunit aussi des éléments qui me sont étrangers comme la ville de Roubaix, qui n’est qu’une terre de bannissement, un lieu inconnu : ces éléments sans lien direct avec mon univers familier m’intéressent aussi.


Le personnage d’Elizabeth, la sœur qui bannit son frère Henri, pour des raisons obscures, est une sorte de fil rouge de votre spectacle. Pourquoi a t-elle attiré votre attention particulièrement au cœur de ce film choral ?


Julie Deliquet : Je sens qu’Arnaud Desplechin a comme alter ego le personnage d’Henri, joué par Matthieu Amalric (le rôle du frère banni), même si tous les personnages sont très bien construits et ont tous une magnifique partition. D’ailleurs au théâtre cette choralité peut être accentuée car les acteurs sont tous à égalité sur la scène, sur le même plan face au spectateur. Elizabeth m’intéresse car on ne comprend pas bien cette violence face à son frère, ni pourquoi toute la famille accepte ce bannissement. À la fin, c’est sur elle que s’achève le film , elle a un petit sourire, comme si elle était contente de ce qu’elle venait de produire, d’écrire ou de vivre (l’interprétation est laissée en suspens par le réalisateur qui n’explicite pas ce dénouement) et elle prononce les mots du personnage de Puck, extrait du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare : « Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, pensez ceci : Que vous n’avez fait que dormir. Et tout sera réparé ».
Cela laisse entendre qu’elle a écrit cette histoire, elle l’a romancée (n’oublions pas qu’elle est écrivaine de pièces de théâtres), qu’elle a rendu exagéré-ment monstre le personnage du frère. Ici ce qui m’intéresse c’est donc de prendre des personnages et de provoquer, sous couvert du conte, le théâtre. Il y a quelque chose de très grec là dedans. En fait Un conte de Noël, c’est un petit Roi Lear version Roubaix. Et puis, je me suis dit qu’en tant que metteure en scène, je pouvais m’amuser avec un alter ego féminin qui est lui-même en train de diriger sa famille – comme je dirige des acteurs, même si ses méthodes sont plus violentes, plus radicales. Mais elle a quelque chose aussi de comique car c’est un personnage outrancier.


Donc vous abordez Un conte de Noël davantage sous le prisme de la fiction, du conte justement, que de l’histoire de famille sur un mode naturaliste ?


Julie Deliquet : Contrairement à ce que j’ai pu faire auparavant, je convoque ici plus des acteurs qu’une famille car oui, cette histoire est un conte. Arnaud Desplechin insiste d’ailleurs beaucoup sur cette partie du titre de son film. Je souhaite donc voir les comédiens arriver sur scène dans un décor de théâtre, comme les acteurs de Vanya, 42e rue de Louis Malle, qui au début du film entrent en répétition puis basculent dans Oncle Vania de Tchekhov.
Quand les comédiens d’In Vitro invoqueront Roubaix, on plongera avec eux dans la fiction. Puis, les personnages du Conte au moment de leur spectacle de Noël se transformeront une nouvelle fois pour interpréter des personnages shakespeariens jusqu’à en oublier Roubaix : la dramaturgie est construite sur le modèle des poupées russes. Les acteurs d’In Vitro deviennent les personnages du conte, et les personnages du conte deviennent acteurs du spectacle de Noël, comme le font les artisans dans leur spectacle « Pyrame et Thisbé » à la fin du Songe d’Une nuit d’été. N’oublions pas qu’Elizabeth termine le film avec les mots de Puck. Mais dans un conte, on ne ment pas, on dit que c’est faux et en même temps, on y croit pleinement, on est fasciné, on a peur, on ressent du désir.
Dans le film, c’est une manière de s’amuser, de rire, d’avoir de la distance tout en s’emparant de grands thèmes, comme la religion, la transmission génétique, la maladie et puis le théâtre dans le théâtre. Et finalement, ce sont des thèmes qu’on n’a pas encore abordés de front avec In Vitro et qui sont très théâtraux et très psychanalytiques. Il y a aussi du Lacan chez Desplechin. Je pense à la folie notamment : on l’accepte chez ses personnages parce qu’elle est dite. C’est comme si on était un peu au-dessus de la vie dans Un conte de Noël. Ce sont quatre jours à Roubaix mais ce sont comme quatre actes de tragédie. Ça me plait d’enfermer mes acteurs dans une histoire et dans un temps court et intense, alors que peut-être au fond tout est faux. L’espace bifrontal est dans ce sens important : montrer que l’on est au théâtre et que le conte commence en direct sous nos yeux. Dans ce dispositif, une partie des spectateurs devra traverser le décor pour aller s’asseoir, il en découvrira ainsi tous ses artifices.


Comment l’univers shakespearien pénètre-t-il votre conte de Noël théâtral ?


Julie Deliquet : Le théâtre est déjà omniprésent dans l’œuvre de Desplechin, il dit d’ailleurs ne penser qu’au théâtre quand il écrit, cet amour là transparait dans son film. Je pense notamment aux références nombreuses et directes faites à Shakespeare : cette histoire de bannissement, c’est aussi Le Roi Lear, la relation triangulaire entre Silvia, Simon et Ivan fait encore écho au Songe d’une nuit d’été et à son trio amoureux. Je pense également à Hamlet avec le roi et la reine de comédie. C’est toute une matière que j’expérimente au plateau avec mes acteurs. Dans le cadre de ce spectacle, je voulais vraiment favoriser la langue d’un auteur de théâtre par rapport à une écriture de plateau. Il s’agit de jouer avec la langue de Desplechin et celle de Shakespeare, de créer un choc et de convoquer pleinement le théâtre jusque dans les mots. Et puis il y a aussi ce doux mélange entre drame et comédie chez Arnaud Desplechin. Je trouve qu’il y a ça chez Shakespeare – il est autant auteur de comédie que de tragédie.
Arnaud Desplechin sait mélanger le vrai et le faux, le tragique et le comique : je pense à la scène de bagarre entre Henri et Claude, elle est accompagnée d’une musique qui apporte du décalage et qui nous rappelle que ce n’est pas ça au fond qui est grave dans le film. Au delà des références shakespeariennes, c’est une œuvre qui est habitée par d’autres fantômes, d’autres auteurs, d’autres réalisateurs. C’est en ce sens que c’est une langue au-dessus du réel, pas du tout naturaliste, très écrite. Elle joue avec plein de codes, avec des références hybrides, je pense aussi à tout le langage médical : dans Un conte de Noël, on peut mourir d’embrasement ! Ou au sous texte religieux également très présent.


Ce nouveau projet implique-t-il de nouvelles méthodes de travail au sein du collectif ?


Julie Deliquet : À ce stade du projet, je n’ai encore distribué aucun rôle. Je veux commencer les répétitions sans savoir qui joue quoi et que chacun obtienne son rôle comme sur un coup de dés. Cette question du jeu et du hasard est très présente dans le film. J’aime beaucoup cette idée du tirage au sort : comment l’acteur peut-il me faire croire à ce qu’il est, alors qu’il vient de découvrir son personnage ? Je crois que nous devons vraiment nous aussi jouer avec l’œuvre. Le film nous offre toute cette liberté.


Propos recueillis par Agathe Le Taillandier, avril 2019 pour le Festival d'Automne

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.