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Tumultes

+ d'infos sur le texte de Marion Aubert
mise en scène Marion Guerrero

: Note de l'auteur

Au départ, nous avions le désir, avec Marion Guerrero, de travailler sur les émeutes du 6 février 1934. Le Front Populaire. Les congés payés. La revalorisation des salaires. On a lu des livres d’histoire(s) : La France du front Populaire, Maurice et Jeannette, biographie du couple Thorez, Léon Blum, la force d’espérer. Ecouté des chansons de l’époque : « Qu’est-ce qu’il faut pour être heureux ? » « Boum / Quand notre cœur fait Boum / Tout avec lui dit Boum / Et c'est l'amour qui s'éveille. » On a regardé des films de propagande. On a parlé de l’avortement. Des tricoteuses de la Révolution. De la joie sur les visages pendant les manifestations. On a écouté « Mohamed mouche à merde, nous ne voulons pas de toi. Mohamed mouche à merde, on va te ramener chez toi. » On a fait des impros. On a tenté de faire la Révolution dans l’école. Manon est allée faire des discours sur les places de Saint-Etienne. Personne ne s’en est rendu compte. J’ai listé des questions : « Qu’est-ce que c’est que l’espoir ? Qu’est-ce que c’est que de s’inventer des vies nouvelles ? Qu’est-ce que c’est que de sentir quelque chose possible ? C’est quoi le sentiment d’injustice ? C’est quoi avoir peur pour ses enfants ? D’où ça nous vient, ce climat là d’inquiétude ? De haine ? De suspicion ? Comment ça se fabrique, le fascisme ? Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur des corps ? » On a parlé de la passion. De la peur qui s’insinue l’air de rien. Du collectif. De la solitude. Des chœurs. On a regardé la photo d’August Landmesser, l’homme qui refusa de faire le salut nazi, au milieu d’une foule à l’unisson, un jour de mai 1936. On a parlé de nos approximations. On a parlé du poids du réel. De la lourdeur. On a tenté de désépaissir le réel par le théâtre. On a tenté de dire des choses ensemble en même temps. D’avoir les corps au même rythme. Et puis d’être parfois à contretemps. On a finalement tenté d’être à la fois en 2013 et en 1936. Tenté de s’approprier les gestes des autres. L’imaginaire des autres. D’être délicats et furieux. D’éclairer nos propres désordres. On a chanté : « Prenez garde, prenez garde / Vous les sabreurs les bourgeois les gavés / V'la la jeun' Garde, v'la la jeune Garde / Qui descend sur le pavé. » On a dansé sur Mao Mao. Tibor a fait des morts avec des patates. Gaspard a fait des frites avec les patates de Tibor. On a recyclé. Finalement, on n’a pas vu L’affaire Stavisky. On a tenté de saisir des choses que nous avions en commun. Tenté de nommer les colères que nous ne partageons avec personne. Les trucs minables. On a parlé des armes que les suisses cachent sous leur matelas. On n’a pas fait trop les malins. On a tenté d’aller vers des fictions. Pendant ce temps, le tireur fou a semé la panique dans les rues de la Capitale, sur nos écrans de télévision. A Saint-E, on a fêté la victoire des Bleus contre l’Ukraine. On a parlé de la cruauté et des grâces de l’humanité. On a parlé de nos propres dérives. On a parlé de ceux qui ne trouvent pas leur place. Qui ne savent pas où se mettre. Qu’on ne sait pas bien où mettre.


Ça, c’était en 2013.


En 2014, on a tenté de creuser davantage nos questions. On a partagé notre table de travail avec Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique, et de Vincent Chambarlhac, maître de conférences en histoire contemporaine. Leur apport a été plus que précieux. On a refait des impros. Maurin a appelé à la Révolution sur le toit de la Comédie. Cette fois, la police a réagi. On a lu Tarnac, magasin général, 1934-1936 un moment anti-fasciste, Constellations, trajectoires révolutionnaires du jeune 21ème siècle, des BD. On a écouté « Boum / Quand ton corps fait boum / C’est pour avoir le droit d’enfiler tes mille vierges » (Didier Super, chanson sur les terroristes islamo kamikazes). On a regardé Mourir à trente ans, L’ombre Rouge, La Chinoise, Reds, House of cards, Ni vieux ni traîtres. Aujourd’hui, la pièce est un drôle d’objet. Ovni entre farce, théâtre du quotidien et tragédies intimes. Sans doute est-elle toujours hantée de nos intuitions premières (mise en écho de notre époque et des années 1930) – et l’actualité (Jour de Colère, Manif pour tous, victoire du FN aux Européennes) nous a tristement confortées dans ces intuitions – mais elle parle aussi d’une génération de jeunes créateurs, tous issus de l’école de la Comédie de Saint-Etienne. Grâce à eux, j’ai pu lister toute une série de nouvelles questions : « Qu’est-ce qu’une prise de conscience politique ? Qu’est-ce que l’engagement ? Qu’est-ce que la résignation ? De quoi a-t-on peur ? A-t-on réellement un désir de Révolution ? Comment se fabrique une conscience politique ? Quels sont nos héritages ? Quelles voix orientent nos prises de positions ? Qu’est-ce que la déception ? La manipulation ? Est-ce que toutes les morts se valent ? C’est quoi, une action violente ? Qu’est devenu notre désir de théâtre ? Qu’est-ce qu’un héros ? Et un antihéros ? De quoi avons-nous besoin pour échapper au cynisme de l’époque ? A la dépression ? Comment instiller, toujours, du trouble dans nos représentations ? » Ces jeunes gens – ils ont entre 22 et 25 ans – loin d’être seulement de passionnants interprètes, ont un appétit aigu de la mise en commun, de la polémique et de la réflexion. La pièce est aussi, je l’espère, un portrait en creux de cette génération, inquiète, mais surtout vive, créative, et décidée à ne pas toujours s’en laisser conter.

Marion Aubert

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