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Traversée

+ d'infos sur le texte de Estelle Savasta
mise en scène Estelle Savasta

: L’histoire selon Estelle Savasta

Nour est là droite comme un i, elle raconte son histoire avec des mots pudiques et précis. Youmna est là droite comme un i, elle raconte son histoire avec des mots pudiques et précis. Nour vit avec Youmna.


Nour et Youmna


Youmna est douce, Youmna est belle, elle est bonne. Elle est sourde aussi.
Youmna dit que la mère de Nour était plus douce encore, plus belle encore. Et bonne elle aussi.
« Si bonne qu’elle a décidé de partir et de se séparer de toi, le Nour de ses yeux, pour aller te construire un ailleurs meilleur. Elle disait, je travaillerai dur et mon enfant mangera à sa faim. Une nuit, quelques jours après ta naissance, elle est venue chez moi. Elle a dit je pars. Le voyage sera long et dangereux. Je ne peux pas emmener l’enfant avec moi. Elle a ouvert les paumes de mes mains, comme ça, et elle t’a posée là. Oisillon minuscule. Et elle a dit garde là, protège là. Donne lui ton sein pour boire et ton ventre pour dormir. Aime là. Je pars la première, quand le nid sera prêt je la ferai venir. Et elle s’est envolée.
Nous sommes entrées dans ma maison. Je t’ai donné mon sein pour boire et mon ventre pour dormir. C’est comme ça que ça a commencé toi et moi. »
L’enfance de Nour a l’odeur de Youmna. Pas de souvenir plus heureux que celui-là. Et Nour ne veut pas qu’on lui parle de cette mère plus belle et plus douce encore. Nour veut Youmna.
Youmna parle de tout ce qu’elle partagera là-bas avec une mère qui entend.
Nour contre-attaque point par point. Il n’est rien que Nour ne partage pas avec Youmna. Nour veut Youmna et personne d’autre.
C’est la première partie de mon histoire. Une histoire d’amour forte entre deux personnes qui se sont un petit peu choisies.
C’est une première partie d’histoire sur ce qui nous attache les uns aux autres.
Pourtant Nour devra quitter Youmna. Elle le sait. Bientôt elle sera assez grande pour partir et elle partira.
Et ce jour vient.


Le voyage


Youmna dit « Ta mère a écrit. Elle t’attend. Elle a tout organisé. »
C’est comme une claque sur la figure. Et avec les claques il n’y a rien à faire. Juste attendre que le feu sur la joue s’éteigne, que l’humiliation et la colère fassent leur chemin.
Youmna dit « Ici, depuis toujours les femmes donnent à leurs filles un présent qu’elles ne peuvent ouvrir qu’au premier jour de leur vie de femmes. Pour nous ça veut dire le jour où on quitte la maison pour celle d’un homme. Pour toi ce sera différent. Ta mère n’a pas failli à la tradition : cette toute petite boîte près de nos lits est à toi. Ta mère disait qu’il fallait te faire confiance, que tu saurais reconnaître ce jour-là : le premier jour de ta vie de femme. Elle voulait que tu promettes de l’ouvrir un jour heureux. Emporte-là. Et si un jour sur le chemin qui t’emmène à elle tu dois tout donner, donne tout mais ne donne pas ça. C’est toute la lignée des femmes avant toi dans cette boîte. Ne donne pas ça.»
La nuit suivante, un homme vient chercher Nour. C’est un passeur. C’est la première étape du voyage de Nour. C’est un très long voyage. Difficile, dangereux, poétique aussi.


Le premier jour de sa vie de femme


Arrivée dans cet ailleurs fantasmé, Nour ne trouvera pas sa mère.
Elle fera des rencontres importantes et construira sa vie. Petit à petit. Choisira une voie, s’y engouffrera toute entière, tissera des liens.
Et puis un jour Nour sentira qu’elle est au premier matin de sa vie de femme. Que c’est un jour plein et lumineux. Un jour heureux. Elle se fera confiance et ouvrira la toute petite boîte.

Estelle Savasta

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