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Transe-Maître(s)

mise en scène Elemawusi Agbedjidji

: Le projet

par Elemawusi Agbedjidji

C’est en septembre 2017, que je croise avec étonnement sur les murs d’une école en plein cœur de Lomé, capitale du Togo, l’inscription : Ici, il est interdit de parler vernaculaire. Cette histoire d’interdiction de parler le vernaculaire, je l’avais pratiquement oubliée. Quand j’étais bien plus jeune, au cours primaire comme au collège, le signal existait encore dans tous des établissements scolaires publics comme privés. Parler la langue française était obligatoire pour tout le monde dans l’enceinte et aux abords de l’école sous peine de porter le signal.



Le signal, qu’est-ce que c’était ?



C’était un collier fait d’un ou de plusieurs objets répugnants à l’exemple de la carapace d’escargot, d’os d’animal, de pattes de poulet,... que l'instituteur accrochait au cou, en signe de punition, pour sanctionner l’élève qui avait parlé sa langue natale au lieu de s’exprimer en français. L'élève devait ensuite surprendre un autre de ses camarades dans la même situation pour s’en débarrasser. Le signal passait alors de cou en cou. L'élève qui avait l'objet en sa possession à la fin de la récréation, de la demi-journée, ou de la journée, était puni : séance de moquerie générale organisée par l'instituteur suivie de punitions corporelles, retenues, corvées, devoirs supplémentaires, etc. Souvent, une seconde punition attendait les enfants à leur retour à la maison.


Suite à la loi Jules Ferry, 1881-1882, l’école devient gratuite et l’instruction obligatoire. L’une des premières conséquences directes est la francisation de toute la France, le français devient non seulement obligatoire mais imposé. Cette langue que Paris imposa au reste de la France, que la France imposa à l’empire colonial ira même jusqu’à lutter contre les langues locales existantes. Pour arriver efficacement à ses fins, l’école va alors recourir à une méthode coercitive en faisant appel à ce pédagogue, censeur et gendarme qu’est le signal, connu sous d’autres formes ou d’autres noms comme le signe, le symbole, le bonnet d’âne,...


En servant de rempart face aux autres langues, que ce soit en Occitanie ou en Bretagne, ce procédé était utilisé afin d'humilier l'élève et de ridiculiser sa langue, accessoirement d'entretenir la délation entre les élèves et empêcher la solidarité de groupe. Il a participé à la destruction, la sous estimation, au rejet, au reniement des langues locales et aux ethnocides.


Dans l’empire colonial, l’École française va s’inspirer de ces mêmes pratiques. Alors qu’en France il ne s’agissait que d’un morceau de bois, dans les colonies, le signal est fait d’objets qui présentent des aspects vilains, des apparences ridicules, qui avilissent l’image de l’étudiant porteur du signal.
Dans certains endroits il peut même s’agir d’une boîte remplie d’excréments d’animal que l’élève doit porter au cou. Au Togo et au Bénin, ces éléments sont évocation et symbole mystique dans la religion traditionnelle populaire, symbole des anecdotes dans la mythologie des Ewé (peuple du sud du Togo). L’os par exemple est présage de la mort.
Porter un objet pareil au cou, au-delà de la punition de l’école, est évocation de mauvais sort sur soi-même. Fait étonnant, le signal a pratiquement disparu des manuels d’histoire.


  • Elemawusi Agbedjidji
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