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Tout un homme

mise en scène Jean-Paul Wenzel

: Note d’intention

Près d’Hagondange… retour en Lorraine!


Une bonne trentaine d’années après l’écriture de ma première pièce Loin d’Hagondange et une dizaine d’années après celle de Faire bleu en écho à la première, la Lorraine me refait signe à propos de l’épopée oubliée ou méconnue de ces jeunes Algériens et Marocains, souvent d’origine kabyle ou berbère, venus en nombre depuis la fin de la guerre et jusque dans les années 80, travailler dans les mines (le dernier puits lorrain a été fermé en 2004) et vivre dans le bassin lorrain.


C’est donc la troisième fois que mon écriture se trouve liée à la Lorraine. Loin d’Hagondange dont l’écho dépassa largement les frontières, puisqu’elle fut traduite en 18 langues et jouée dans une vingtaine de pays, mettait en scène un couple d’ouvriers d’Hagondange qui, après une vie entièrement vouée au travail et une fois la retraite arrivée, se laissaient insidieusement envahir par le sentiment de leur inutilité et de ce temps vertigineux à combler. La pièce Faire Bleu m’a été inspirée par une visite impromptue à Hagondange à la fin des années 90, où je découvris, stupéfait, qu’à la place du site sidérurgique démantelé, on avait construit un parc de Schtroumpfs! Les deux pièces créées en diptyque ont été représentées 211 fois en tournée nationale.


Chaque fois que mon métier d’homme de théâtre m’a ramené en Lorraine, j’ai été accueilli comme un enfant du pays, c’est-à-dire chaleureusement. Et il est vrai qu’enfant du pays je le suis un peu pour avoir vécu à Metz, enfant, dans le quartier du Pontiffroy, dit à l’époque «quartier des Algériens», et y avoir été témoin de ratonnades (on était en pleine guerre d’Algérie). Je me souviens notamment un jour avoir enjambé le corps d’un homme mort sur le trottoir en rentrant de l’école... Plus tard, une partie de ma famille habitant Hagondange m’avait vivement encouragé, adolescent, à entrer dans cette «merveilleuse entreprise» que représentait pour eux L’UCPMI. Je me souviens de leur fierté de travailler là. Il m’est arrivé à cette époque de voir parfois le flamboiement des grandes coulées, les soirs d’hiver... J’aimais ce paysage qui m’a inspiré mes premiers poèmes. Encore quelques années plus tard, après ma formation à l’Ecole d’Acteurs du Théâtre National de Strasbourg, je suis retourné à Hagondange. Un seul haut fourneau avalait les restes de l’usine démantelée. Le paysage de désolation renvoyait à un lointain passé. J’avais le sentiment d’être l’archéologue d’une civilisation engloutie...
Depuis, tous mes retours en Lorraine m’ont rempli d’un sentiment d’absence, de vide. Une immense nostalgie m’envahit lorsque je vois çà et là, les restes de ces paysages industriels. Une part de moi est inscrite là.


Alors quand on m’a proposé d’être l’auteur d’un livre, d’un récit-fiction, nourri des entretiens menés en Lorraine, en Algérie et au Maroc auprès des mineurs maghrébins par Tamara Pascutto et Alexia Serré (sous la direction de Piero Galloro de l’Université de Metz) et des rencontres que je ferais moi-même avec les mineurs au cours de ma résidence d’écriture à Forbach, j’ai eu le double sentiment de n’être pas forcément le mieux placé pour traiter de ce sujet, et en même temps la sensation d’une légitimité évidente.


Les paroles de ces hommes et de leurs proches m’ont bouleversé à double titre: non seulement l’épopée humaine dont chacun témoigne est considérable, mais leur manière de la transmettre aussi: un récit déjà transposé, transcendé par le travail du temps, de la mémoire, avec ses envolées, ses silences, ses tremblements, ses éclats de voix, de rire, ces mots noués... La fiction était déjà présente et me tendait les bras.


Toutes ces vies traversées sont uniques. Chacune mériterait d’être racontée dans sa complexité et sa richesse. L’une de ces vies m’a fait signe plus que les autres! Celle d’un algérien, né en 1947 à Saint- Etienne, reparti, très jeune enfant, avec sa famille en Algérie, puis abandonné par son père, et qui tente sa chance à 16 ans, quitte l’Algérie, arrive en France, à Paris d’abord, puis dans les mines de l’Est Lorrain. Quelques liens avec ma propre biographie m’ont servi de «porte d’entrée» à l’écriture.


Du livre à la scène


C’est en rencontrant moi-même un certain nombre de ces mineurs, au cours de mes trois mois de résidence à Forbach, que le désir de passer du livre à la scène s’est imposé. Leurs voix, leurs gestes, leurs visages passant dans l’instant «du grand midi au grand minuit», les mouvements de leurs corps obéissant aux inflexions de leurs voix, et reflétant tour à tour force et fragilité, énergie ou lassitude, puissance d’ «être là» ou effacement… Tout cela m’invitait naturellement à passer du livre au plateau.


Première ébauche du spectacle


C’est ainsi qu’avec Arlette Namiand pour l’adaptation théâtrale du récit, une équipe de trois acteurs (Hammou Graïa, David Geselson, Messaouda Sekkal), un musicien (Hassan Abd Alrahman), un technicien (Adrien Grehier), et l’aide du Carreau, Scène Nationale de Forbach, nous avons présenté en décembre 2009, une première ébauche du spectacle dans les structures locales du bassin minier. Le livre était encore en chantier mais j’étais impatient d’en livrer les quarante premières pages! Une manière pour moi de rendre, par le détour de l’écriture et du théâtre, leur parole à ces hommes et femmes que j’avais rencontrés… Ce furent des soirées mémorables! Une quinzaine de représentations en proximité très grande avec les mineurs bien sûr qui acquiesçaient de la tête pendant le spectacle, les yeux embués, mais aussi un public très hétéroclite de Lorrains souvent très au fait des histoires de leurs mines, voire même de l’immigration polonaise ou italienne dans le bassin houiller, mais connaissant mal ou moins bien l’histoire des mineurs maghrébins, notamment les jeunes gens, lycéens et collégiens, qui ont manifesté partout où nous avons joué, un enthousiasme et une émotion très vifs!
Les quarante premières pages qui ont fait l’objet de cette première ébauche de spectacle concernaient uniquement les récits de mineurs algériens, il y manquait bien sûr les récits de l’immigration marocaine, à plein d’égards différente. Aujourd’hui, le livre est achevé, édité depuis janvier 2011 (éd. Autrement, collection Littératures)


Le spectacle sera conçu à partir du livre et portera le même titre, Tout un homme, inspiré d’une phrase de Jean-Paul Sartre : «Si je range l’impossible salut au rang des accessoires, que reste-t-il? Tout un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n’importe qui. »

Jean-Paul Wenzel

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