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Tokyo notes

mise en scène Xavier Lukomski

: Entretien avec Xavier Lukomski

réalisé le 5 janvier 2008

POURQUOI AVOIR CHOISI TOKYO NOTES ?


Tokyo notes est la première pièce d’Hirata que j’ai lue, un peu par hasard d’ailleurs. A l’époque, Michèle Hubinon, ma femme, travaillait sur un film japonais, un film qui se passait en partie à Tokyo et j’avais acheté le bouquin simplement à cause du titre et pour lui offrir.


Et puis j’ai lu la pièce et une pièce comme celle-là, à la lecture, c’est perturbant. D’abord à cause du nombre incroyable de personnages !!! On se dit qu’on lit ça uniquement pour le plaisir, parce que de toute façon, on ne pourra pas la monter. En plus, à la première lecture, on ne comprend pas grand-chose, justement à cause du nombre de personnages, du contexte japonais. Mais on est vraiment intrigué par cette écriture et la pièce reste en mémoire. Alors on la relit, et on se dit que c’est vraiment une écriture magnifique, toute en finesse et en intelligence. On se renseigne et on apprend qu’elle a déjà été montée en France, en Italie, en Angleterre, aux Etats-Unis… et ce qu’on croyait n’être qu’une impression très personnelle, est partagée par beaucoup. Cette pièce qui semble si « urbanojaponaise » parle en fait intimement à tous et dans le monde entier.


Je me suis rendu compte aussi que la pièce était bourrée de thèmes qui m’intéressaient, comme la référence à la guerre en ex-Yougoslavie par exemple ou la question de la représentation. La guerre en ex-Yougoslavie est une guerre qui m’avait pas mal obsédée à l’époque, j’ai d’ailleurs fait un petit film là-dessus et la question de la représentation est à la base de la Mouette. Car, pour finir, il y avait ce « goût tchékhovien » qui me ramenait, et dans sa forme et dans son fond, un peu à cette Mouette que j’ai montée en 2005.


L’ECRITURE DE TOKYO NOTES ET D’HIRATA EN GENERAL EST PARTICULIERE. COMMENT LA DEFINIRAIS-TU ?


C’est une écriture du quotidien, qui parle de « choses et d’autres », « mine de rien », comme chez Tchékhov justement. Pas de tragédie, mais de la profondeur dans les mots et les situations de « tous les jours ». Ceci dit, cette référence ou cette influence de Tchékhov est à relativiser, parce qu’Hirata est quand même un auteur très « japonais », mais il me semble qu’elle est réelle. D’ailleurs, pour renverser la proposition, Tchékhov est peut-être d’une culture plus asiatique qu’on ne le pense. L’humour, très « pince sans rire », commun aux deux auteurs en est sans doute une preuve.


L’écriture d’Hirata est concise, dans une construction en cercles concentriques et en multiples ramifications. Sans que l’on s’en aperçoive vraiment, tous ces personnages parlent des mêmes sujets, souvent assez graves, en fin de compte, mais dits et abordés de manière si légère que rien ne semble tout à fait important. Même les choses les plus douloureuses, et il y en a dans la pièce, se disent avec de l’humour, de la finesse et du sourire, même dans les larmes, une écriture d’une très grande élégance. Hirata dit qu’il cherche à retrouver comment les Japonais se parlent, et contrairement à ce que l’on pourrait croire au travers de nos clichés occidentaux, ces personnages se parlent assez directement. Ils disent absolument ce qu’ils pensent, ils ne cachent rien. Mais simplement, ils le disent sans tragédie, sans pathos, toujours avec du recul sur eux-mêmes. Nous ne sommes pas dans une écriture du symbolique, mais bien dans une écriture du réel, une écriture qui croit que le réel a un sens et qui, par la « surface », tente de rendre visible et audible ce sens.


COMMENT COMPTES-TU ABORDER CETTE ECRITURE ?


Comme je l’ai dit, pour moi, cette façon de voir et de lire la représentation de la vie au théâtre, prolonge différemment des questions de théâtre qui se posaient aussi dans La Mouette ou dans d’autres textes sur lesquels j’ai travaillé. Il me semble donc que Tokyo notes poursuit une certaine continuité dans mon travail. La particularité ici est encore une fois le nombre très grand de comédiens. Pour des questions de production, nous allons donc travailler très vite. Un mois seulement de répétitions ! Ça demande un très gros travail de préparation. Il me semble que ça ressemble un peu à un tournage de film. Idem pour le casting, j’ai cherché à ce que l’acteur soit au plus proche du personnage et qu’il n’ait pas à « entrer dans la peau du personnage », mais bien au contraire que le personnage entre dans la sienne…


OUI, MAIS LA LANGUE JAPONAISE DOIT AVOIR UNE INFLUENCE SUR LE TEXTE, SUR LES DIALOGUES ?


C’est vrai que les paroles de ces personnages ont été écrites en japonais. C’est d’ailleurs un des enjeux de Hirata. Faire parler ses personnages de la manière la plus quotidienne possible, donc forcément très japonaise. Bref, ça a demandé un travail d’adaptation. Mais j’ai essayé que cette adaptation soit la plus fidèle possible à l’esprit du texte, à ce qu’il dit et à la manière dont il le dit. Pour cela, j’ai travaillé avec une amie Japonaise, qui vit en Belgique depuis longtemps, et qui m’a beaucoup aidé à comprendre le texte et à trouver des solutions, du moins je l’espère, pour le faire comprendre ici.


COMMENT LES COMEDIENS SE SITUENT-ILS PAR RAPPORT A CETTE ECRITURE ?


Le très grand nombre de comédiens dans la distribution ne donne pas à cette pièce une dimension épique pour autant, loin de là. Il me semble donc qu’ils doivent à la fois assumer un travail très individuel, très intime et très collectif en même temps. C’est une sorte de chorale qui ne serait faite que de solistes. Chaque comédien joue un seul rôle, parce que ça n’aurait eu aucun sens de faire jouer plusieurs rôles par un même comédien, et il existe un « tout » qu’il s’agit de mettre en scène, presque en le « chorégraphiant ». Bien sûr, il y a des personnages ou des comédiens qui ont plus de texte que d’autres, mais il n’y a pas de personnage principal, pas de personnage qui ait plus d’importance qu’un autre.


LA PIECE PARLE EN FAIT UN LANGAGE TRES UNIVERSEL ?


Tout à fait, Hirata parle de la vie telle qu’elle est. C’est-à-dire la nôtre autant que celle des « tokyoga », pas la vie de héros qui n’existent pas ou celle de puissants dont nous ne sommes pas. C’est comme une humanité qui est représentée devant nous et le regard sur cette humanité est universel. C’est bien pour cette raison que les textes d’Hirata sont traduits dans autant de langues. Tokyo notes est une pièce qui parle du et au monde entier, mais à partir du Japon, ce qui en fait tout l’intérêt pour nous !


DANS TOKYO NOTES, ON PARLE BEAUCOUP DE VERMEER, MAIS IL Y A UN AUTRE ARTISTE QUI EST A LA BASE DE L’ECRITURE DE LA PIECE…


Oui, en fait il y en a trois, qui sont à la source de cette pièce. Vermeer bien sûr, dont on parle tout le temps puisque la pièce se passe dans un musée qui expose ses tableaux, mais aussi Ozu et Kenzaburo Ôé. Ozu est un des cinéastes japonais dont Hirata, je suis sûr, se sent le plus proche. Et son film Voyage à Tokyo a donné l’argument de base à la pièce. Quant à Ôé, qui est le deuxième prix Nobel dans l’histoire de la littérature japonaise après Kawabata, il a donné son titre à la pièce, mais aussi un de ses thèmes principaux avec son livre « Notes de Hiroshima » qui est une magnifique interrogation sur l’après seconde guerre mondiale et les conséquences de cette guerre et de sa fin tragique pour le Japon, avec les deux bombardements atomiques.


La question du pacifisme et la perception morale que les Japonais pourraient avoir de cette guerre lointaine, qui est censée ravager l’Europe, est bien sûr à la base de la pièce. L’Europe est donc fondamentalement présente dans cette pièce et les liaisons entre l’Europe et le Japon aussi étonnantes que passionnantes. Par exemple, j’ai appris en travaillant sur la pièce, que les questions aussi bien esthétiques que philosophiques, posées par la révolution picturale que l’oeuvre de Vermeer avait proposée à son époque, ont trouvé un très fort et très concret écho dans l’oeuvre d’Ozu et donc bien sûr dans celle d’Hirata. Mais ça, il faut venir voir la pièce pour, je l’espère, le comprendre.

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