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This is the end

+ d'infos sur le texte de Cristian Soto
mise en scène David Bobée

: Entretien avec David Bobee

Acteurs, danseurs et circassiens se côtoient depuis plusieurs années dans vos créations. Comment est né le désir de travailler avec des acrobates ?


Venant au théâtre après des études de cinéma, je me suis très vite intéressé à la personnalité des acteurs, à leurs corps, donc à leurs déplacements, à leurs mouvements dans l’espace. Dès mes premiers spectacles, j’ai développé une approche assez chorégraphique de la mise en scène. Lors d’une recherche avec des artistes de cirque et des comédiens de ma compagnie, j’ai vu que les acrobates apportaient un langage que je pouvais comprendre et intégrer à une dramaturgie théâtrale. Le mouvement circassien est à la fois très concret et immédiatement métaphorique : s’exposer au risque, repousser les limites, se renverser, renverser un certain ordre du monde… sont autant de gestes signifiants. Depuis cette rencontre, des acrobates participent à toutes mes créations : Cannibales mêlait le texte de Ronan Chéneau, le jeu d'acteur, la danse et le cirque, Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue aussi, et la mise en scène d’Hamlet, de Shakespeare, poussait l’interaction jusqu’à confier le rôle principal à un acrobate pratiquant le mât chinois.


THIS IS THE END : le titre semble annoncer la catastrophe…


La catastrophe n'est pas le sujet mais sert de révélateur de la situation actuelle, de métaphore d’un monde en crise. Si tout doit disparaître, qu'est‐ce qui a disparu ? L’hypothèse de la disparition nous conduit à réfléchir sur notre existence, sur notre réalité présente, sur la hiérarchie des valeurs qui régit nos actes individuels et collectifs. Cette urgence nous aide, peut‐être, à discerner l’essentiel.


Dans la pièce, les acrobates s'appellent par leur propre nom, parlent leur langue. Vous travaillez au plus près de leur identité. Pourquoi cette démarche ?


Le cahier des charges du spectacle de fin d’études du Cnac demande que tous les étudiants soient vus dans leur discipline. J'ai pris cette contrainte à la lettre, ce qui ouvre un vaste champ créatif. Eux, ce sont de jeunes gens qui affirment un choix radical, incroyable aujourd'hui parce qu’il va à l’encontre de l’idéologie dominante, à l’encontre d’une certaine organisation de la société qui vise d’abord la rentabilité. Les étudiants de cette promotion, très internationale, viennent des quatre coins du monde. S'arracher à son pays, traverser la planète pour venir trois ans ici afin de construire une carrière atypique, plutôt brève de surcroît, offrir tout son talent, toute sa beauté, pour une cause provisoire, peutêtre vaine, remet l'être humain à un endroit à la fois beau et absolument nécessaire, que les logiques strictement économiques oublient. Me passionnent leur courage, leur volonté, leur engagement intellectuel et physique à travailler quotidiennement sur un agrès, leur acharnement à bousculer les limites. Leur choix reste un mystère. Je vois une dimension politique dans ce geste.


Politique en ce qu’il échappe à la règle de l'économie, au sens où il ne permet pas de "s'économiser" ? Car le geste circassien exige une dépense difficilement compréhensible, une dépense "inutile" d’un point de vue strictement rationnel, peu productive au regard de l'investissement fourni, comme le don. Un don de soi absolument nécessaire ?


Partir d’eux, c'est s'intéresser à cet acte fou, amoureux, poétique, mais aussi à qui ils sont. Leur parole m'intéresse car elle est à la fois intime et sociale : elle dit beaucoup de notre monde, peut‐être en train de s'écrouler ou du moins de se transformer. En témoignent le printemps arabe, le mouvement des indignés, la crise économique qui menace la solvabilité des Etats…


Le plateau évoque un lieu de vie quotidien, où se déroulent des scènes de vie ordinaires parmi du mobilier réel et des objets banals, tout en convoquant ce que la prouesse peut amener "d'extra‐ordinaire", de non figuratif. Quel sens donnez‐vous à ce contraste‐là ?


Le décor est un appartement fonctionnel où chaque chose a sa place. Dans cette banalité bien ordonnée, nous quêtons l'extraordinaire, le sublime, nous cherchons un peu d'humanité. Ce décor s’inscrit plus dans le courant hyperréaliste que naturaliste. L'espace circulaire du cirque, focus de tous les regards à 360°, est un lieu d'exposition, qui donne à lire l’époque actuelle. La surexposition des objets et des corps du monde le donne à lire autrement.


Le plateau tournant se meut dans un sens ou dans l’autre et induit un rapport au temps différent : le cercle, clos sur lui‐même, sans début ni fin, d’une part n’autorise pas les entrées‐sorties à "cour" ou à "jardin" comme sur une scène frontale mais abolit ce hors champ, et, d'autre part, n’offre plus de cadre fixe au regard. Or, vos mises en scène travaillent habituellement beaucoup l’image, le cadre, la direction du regard du spectateur. Comment l'espace circulaire influe‐t‐il sur la dramaturgie ?


Lorsque je me suis frotté pour la première fois à la piste, je me suis précisément heurté à des problèmes de construction d'images, de cadres. Comment orienter le regard, architecturer des déplacements dans un espace extrêmement libre où tout appelle à la mobilité, à la circularité ? Mon approche emprunte plutôt au vocabulaire cinématographique : cadrage, montage, séquences… Au cirque, c’était presque impossible. En revanche, je pouvais travailler sur la temporalité, sur le mouvement cyclique, la répétition, la variation, sur l’exposition totale et donc la liberté du regard et la responsabilité du point de vue. Le plateau tournant permet cette circulation et donne à voir ce qui s'y fait dans toutes ses dimensions simultanément. Cette scène circulaire autorise une dramaturgie qui l’est tout autant et dévoile un monde fragmenté, qui déroule les événements, rembobine, s'arrête, se répète… Je retrouve une construction qui rappelle le banc de montage. Le spectacle est construit comme une explosion : tout se met à voler en éclats, comme le monde, tel qu'il est organisé aujourd'hui, peut se désorganiser...


Quel est le processus de création avec les jeunes artistes ?


Nous avons travaillé à partir d’improvisations dans l’espace, avec toute l’équipe de création, dès le début. Le décor pose un contexte, propose des situations à mettre en jeu. Ils y répondent avec leur propre pratique circassienne, mais aussi avec leur personnalité, leurs questionnements, leurs propos, en écoute les uns des autres. Un tel processus d’écriture, qui s’invente à même le plateau, les amène à interroger leur discipline, leur excellence, pour l’intégrer dans la dramaturgie, à composer en résonance avec les autres créateurs. Il fait appel au point de vue de chacun sur ce qui est en train de se construire, donc à leur responsabilité, en tant qu’auteur de leurs propositions, en tant que citoyen. Cette conception du protocole de création traduit pour moi un positionnement politique car la question du "comment créer ensemble" renvoie à celle du "comment vivre ensemble". L’oeuvre se tisse ainsi, au jour le jour, dans le partage de nos réflexions, de nos révoltes, de nos émotions… de nos émerveillements.


Entretien réalisé le 12 octobre 2011 par Gwénola David (directrice ajointe du Cnac en charge de la pédagogie et du développement artistique).

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