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Le Conte d'hiver

+ d'infos sur le texte de William Shakespeare traduit par Daniel Loayza
mise en scène Patrick Pineau

: Note d’intention

Un jour, après une répétition du Suicidé, j’étais assis dans la salle et je me suis dit, en voyant tous ces comédiens sur le plateau « C’est beau, une troupe, c’est quand même beau… » Il y avait, bien sûr quelque chose d’un peu sentimental dans cette impression. Mais j’avais là, sous les yeux, cette superbe bande d’acteurs et d’actrices, et je ne sais pas pourquoi mais, ce soir-là, j’ai été touché par la communauté qu’ils formaient. Et comme si cela allait de soi, comme si c’était là la suite logique de cette émotion-là, j’ai ensuite pensé : « Il faudrait que l’on fasse un Shakespeare, ensemble… ».


Il y a tout chez cet homme-là : le style et la pensée, les tréteaux et la poésie savante, la grosse blague et la métaphysique… Quand on fait du théâtre, on passe un peu son temps à se mesurer à lui, de près ou de loin. On l’a toujours dans un coin de sa tête. Il fait partie de votre « histoire de théâtre », au moins comme point de repère. Il vous attend. Et puis un jour, peut-être parce que l’on se sent prêt, parce que quelque chose a mûri, on veut la formuler, cette histoire, on veut que Shakespeare vienne se tisser dedans. Alors, quand j’ai lu Le Conte d’hiver, cette intrigue incroyable, cette explosion de folie du roi Léonte avec ses conséquences monstrueuses… forcément, ça m’a rappelé Le Roi Lear.


Pour moi, les pièces se choisissent en fonction des désirs qu’on a de raconter des histoires par et avec certains acteurs. Je n’ai pas de Lear dans ma bande… enfin, pas encore ! Par contre j’ai un Léonte, j’ai une Hermione, j’ai un Polixène, et ainsi de suite. Et tous sont magnifiques.


Et puis, il y a toutes ces difficultés foraines que Shakespeare nous pose comme des colles ou des devinettes ! Il a une telle liberté, une telle légèreté, qu’on a envie de puiser son énergie là-dedans. Comment fait-on pour incarner un personnage qui vient sur scène vous dire : « Je suis le Temps en personne, et pendant que je vous parle, considérez qu’il va s’écouler seize ans ? » Tout Le Conte d’hiver est plein de petits problèmes poétiques de ce genre-là. Les résoudre au plateau, c’est déjà un plaisir. Mais il faut le faire au service d’une histoire. Une histoire terriblement humaine. Et pour tout dire, je m’y reconnais assez… Elle tend un miroir à l’humain, mais c’est un miroir flou, bizarre, déformant… Incertain et changeant, comme nous…


Shakespeare ne nous laisse jamais oublier l’animal… Léonte se sent pousser des cornes : il se sent devenir une bête, un démon. Il suffit pour ça de quelques secondes, comme dans Lear, ou d’un soupçon qui ne pèse rien, rien du tout, plus léger et inconsistant que le mouchoir perdu de Desdémone dans Othello… Les plus beaux signes, ceux de l’amitié – les sourires, les mains tendues, les gestes de tendresse – sont tout à coup lus complètement à l’envers, à contresens : pourquoi ce roi qui a tout pour être heureux se laisse-t-il submerger par une jalousie délirante ? Quel est ce doute qui trouble son regard et va le conduire à la catastrophe ? Dans quel miroir se regarde-t-il ? Ce qu’il vit est le plus affreux des cauchemars : par sa seule faute, il va causer la perte des êtres qui lui sont les plus chers. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : est-ce que l’on peut survivre à une horreur pareille, et si oui, comment ou à quel prix ? Il n’y a pas plus fragile, plus délicat qu’un coeur humain, surtout un coeur d’enfant – on le brise comme rien – et pourtant il faut vivre, malgré les pertes, il faut avancer.


C’est une histoire très douloureuse et très douce. Douleur, douceur, les deux à la fois… Très mystérieuse. Elle pose beaucoup de questions qui résonnent en moi. Je ne prétends pas y répondre, mais je voudrais bien les approcher. Et qu’ensemble, on puisse un peu les toucher du doigt.

Patrick Pineau

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