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: Intention scénographique

par Thibault Perrenoud

Il nous semble important, dans le cas précis de Shakespeare, de s’intéresser à l’espace originel des représentations de ses pièces. Elles se jouaient dans des théâtres à dispositions circulaires, dont le plus connu reste le théâtre du globe. Shakespeare n’était pas qu’auteur de théâtre, il était aussi acteur et directeur de sa compagnie. À l’époque, il n’y avait pas encore de metteur en scène à proprement parler mais, en tant qu’auteur, son rôle s’en rapprochait. Ainsi, certaines caractéristiques de son écriture comme, par exemple, le foisonnement des adresses, la place du public et les monologues sont intimement liées à ce dispositif théâtral précis dont il faut avoir connaissance pour comprendre certaines clés de son théâtre.


Déjà, à cette époque, le théâtre était un des seuls divertissements populaires, les gens de toutes conditions et origines s’y retrouvaient des journées entières. Loin de nos salles obscures, la salle n’avait pas de toit et le public du parterre y était debout, entourant la scène. Les balcons permettaient aux plus aisés d’apprécier le spectacle assis. Les pièces y étaient très longues, on y entrait et on y ressortait à sa guise. Le silence n’était pas vraiment de mise, on y parlait, on interpellait les acteurs, on mangeait, on buvait, on forniquait. Bref, du spectacle vivant, du vrai. Mais qu’est-ce que ça nous raconte ?


Quelque soit la profondeur et l’intelligence des pièces, ce dispositif retirait au théâtre toute austérité, toute solennité. C’est ce paradoxe, présent jusque dans l’écriture et les niveaux de langage de Shakespeare, qui rend ces pièces uniques. Le rapport au public recherché était ainsi direct et actif, que ce soit pour les acteurs comme pour les spectateurs : c’était un rapport de vivant à vivant. On ne demande pas au spectateur de s’éteindre mais on cherche à le tenir éveillé, à l’exciter, à le convoquer. Le spectateur se voit, il est dans la même lumière que les acteurs, il entoure la scène : il est terriblement concerné par la représentation et, en même temps, il en est apparemment extérieur. La distanciation fonctionnait déjà : on éloignait pour mieux rapprocher. Ainsi, malgré (ou plutôt grâce) à ce qui peut s’apparenter à une mise à distance, à un chaos, quand Juliette s’apprêtait à boire son poison, il n’était pas rare qu’un spectateur hurle : « No ! ». C’est exactement ce que nous recherchons.


Il nous paraît indispensable pour monter Shakespeare de repenser les lignes de ce dispositif dans les conditions d’aujourd’hui. Certes, les spectateurs ne sont pas les mêmes, l’espace de théâtre n’est pas le même, le théâtre n’est plus un divertissement majoritairement populaire, nous ne sommes plus debout, nous n’avons plus la même écoute ni même, tout simplement, le même mode de vie. Ce n’est pas nostalgique, c’est réaliste. Pour penser un espace shakespearien contemporain, nous croyons donc judicieux d’essayer d’adapter à notre époque une condition jouissive de spectateur qui était propre à l’époque élisabéthaine : celle d’être au centre d’une agitation et d’un foisonnement presque sans limite qui permettent, malgré tout, des ruptures pour laisser la place à la pensée et à l’émotion pure. L’espace imaginé se rapproche d’un tri-frontal où les espaces de jeu et du spectateur se confondent. Ainsi, nous tentons de créer les possibilités d’un public décomplexé mais attentif dans un espace explosé mais rigoureux.

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