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: Entretien avec Thibault Perrenoud

Propos recueillis par Laure Dautzenberg

Laure Dautzenberg : Pourquoi avez-vous choisi de monter Hamlet ?


Thibault Perrenoud : Il y a de nombreuses raisons. D’abord la pièce est incroyable, je sais que c’est une banalité de le dire, mais c’est tout de même vrai. C’est une pièce où il y a tout, vraiment tout. Quand on s’intéresse au théâtre et en particulier à l’écriture, à des textes, à des auteurs, c’est difficile de trouver des pièces où autant de sujets sont abordés de manière profonde. Il est question de la famille, de l’amour, de la mort, de la folie, de psychiatrie, du rêve, de politique, de métaphysique, d’intime...
Par ailleurs, j’ai monté auparavant La Mouette de Tchekhov, et pendant les répétitions, on avait toujours Hamlet à côté de nous puisque La Mouette en est une adaptation. J’ai également joué dans Richard II.


C’était la première fois que je travaillais sur Shakespeare et j’ai eu énormément de plaisir, j’avais la sensation que c’était infini à jouer. Or Richard II est un cousin éloigné d’Hamlet : dans l’écriture de Shakespeare, ce sont les prémisses du personnage. Enfin, cela rejoint des problématiques qui nous concernent tous dans l’équipe : nous sommes trentenaires, à part Pierre-Stefan Montagnier qui est un peu plus âgé, et nous sommes donc dans une période où enterrer nos parents est une question qui nous travaille. La pièce parle de la mort du père et,au-delà, du poids de l’héritage de nos pères, au sens propre et au sens métaphorique, en politique ou ailleurs... Qu’est-ce qu’être un père ? Qu’est-ce qu’être un fils ? Comment ne plus être un fils ? J’aimerais qu’à un moment on en arrive à ne plus savoir si c’est l’acteur, ou le personnage que l’on a en face... Tout cela dans une vision assez psychanalytique. On est quand même dans une pièce où le rêve est là, la folie est là, la psychanalyse...


L.D. : Vous avez monté Le Misanthrope puis La Mouette et maintenant Hamlet. Pourquoi ce choix des grands classiques ?


T. P. : Je voulais terminer une trilogie qui a pour moi un sens. Quand on a travaillé sur Le Misanthrope m’apparaissaient des thématiques qu’il y avait dans La Mouette : le théâtre, la famille, les amours déçues, les séparations. J’avais l’impression qu’on se racontait dans Le Misanthrope une fiction secrète qui était en fait la fiction en surface de La Mouette...
La Mouette découlait donc du Misanthrope. Or La Mouette étant elle-même une adaptation d’Hamlet, on a logiquement eu envie d’y aller. Et dans ces pièces-là, à chaque fois, il y a des questionnements qui correspondaient à des préoccupations que j’avais à ce moment là, et que je ne trouvais pas forcément ailleurs. Cela ne part donc pas spécialement d’une volonté de travailler sur des classiques même si cela fait du bien, en tant que « jeune metteur en scène », de se confronter à ces auteurs-là. Ils représentent quand même trois grands théâtres : le théâtre classique français, le théâtre élisabéthain et le grand théâtre russe.


L. D. : Vous travaillez avec une nouvelle traduction... En quoi est-ce important pour vous ?


T. P. : Je trouve que les textes ont à chaque fois besoin d’être retraduits. C’est important pour avoir un regard contemporain sur ces œuvres. Il y a de magnifiques traductions de Shakespeare, que ce soit François-Victor Hugo, Jean-Michel Desprats, Yves Bonnefoy, mais on avait besoin que ce soit la nôtre pour la travailler avec nos sensibilités.
De toute façon, la traduction est une trahison !Je travaille avec Clément Camar-Mercier qui a déjà traduit pour nous La Mouette et avec qui j’ai aussi travaillé sur Richard II et sur d’autres spectacles. J’adore sa façon d’envisager Shakespeare, et sa manière d’aborder la traduction théâtrale. Clément considère que celle-ci doit s’adapter à la mise en scène d’un spectacle, et il travaille donc aussi à partir de notre vision. D’ailleurs, il s’agit vraiment d’une adaptation. Nous allons être cinq acteurs, ce qui est peu pour Hamlet qui compte une trentaine de personnages !


Les acteurs vont avoir deux rôles à jouer, sauf moi qui joue Hamlet. Ophélie sera aussi Gertrude, le fantôme du père d’Hamlet incarnera également l’oncle tueur du père d’Hamlet, Polonius et Laerte, soit le père et le fils, seront joués par le même acteur. Il y a donc immédiatement un rapport à la filiation. Mais aussi, avec la confusion des rôles d’Ophélie et de Gertrude, la question de ce qu’il y a de notre mère dans la femme avec qui on est...


L. D. : Si on devait parler de la part contemporaine d’Hamlet, quelle serait-elle selon vous ?


T. P. : Cette question est toujours compliquée pour moi quand on parle d’un classique. Parce que je ne monte surtout pas Hamlet pour dire quelque chose du monde d’aujourd’hui, au sens politique par exemple. En permanence, quand on répète, on parle du monde qui nous entoure. Mais à aucun moment on a envie de dire « Regardez ! Aujourd’hui ça résonne vraiment plus qu’à un autre moment !  » Non, aujourd’hui ça résonnera à l’endroit d’aujourd’hui. Si je voulais monter une pièce pour parler d’un combat politique, je ne monterais pas un classique, mais un auteur contemporain. La contemporanéité du Misanthrope, de La Mouette ou d’Hamlet, est simplement qu’elles demeurent contemporaines !
Alors, sans être féru de collapsologie, peut-être aujourd’hui cette pièce peut davantage résonner sur le fait que les choses meurent, que les choses doivent mourir. Il y a quelque chose de cet ordre dans Hamlet, l’acceptation de la mort qui arrive... Mais au fond, cela vaut pour toutes les époques, pour tous les êtres humains ! Une pièce comme Hamlet est un buvard absolu. Elle accueille toutes les époques.


L. D. : C’est une pièce qui a été abondamment étudiée par des philosophes, des psychanalystes. Vous parlez beaucoup de revenir à l’essentiel. Que voulez-vous dire par-là ?


T. P. : Revenir à l’essentiel c’est revenir au texte et à la folie des situations de Shakespeare. Concernant le texte, nous avons été surpris de constater que dans la majorité des résumés de l’œuvre (même d’éditions savantes) Claudius aurait tué Hamlet-père avec la complicité de Gertrude, ce qui n’est écrit nulle part... Il n’est jamais dit, sauf dans la bouche d’Hamlet, que son père était un bon roi. Nous avons plutôt affaire à un fils obnubilé par le désir que son père soit le meilleur.
Ces exemples, parmi tant d’autres, nous donnent envie de relire l’œuvre, très simplement. Qu’est-ce que c’est qu’aimer quelqu’un ? Perdre un père ? Subir une injustice ? Qu’est-ce que c’est de voir une femme qui est notre mère partir avec le frère de son père ? Qu’est-ce que c’est que tuer quelqu’un ? Si nous ne l’avons pas fait « pour de vrai  », nous avons tous déjà tué quelqu’un d’une manière ou d’une autre... C’est donc regarder les situations et essayer de les affronter.


Dans Hamlet, il y a trois volets, trois cérémonies avortées, comme une trilogie. D’abord un mariage, celui de Claudius et Gertrude, ensuite le théâtre avec le théâtre fait par Hamlet, et enfin un enterrement avec la mort d’Ophélie. Quel est le lien entre ces trois cérémonies ? Qu’est-ce qui se ressemble, qu’est-ce qui se différencie ? Quels sont les moments d’émotions que l’on a dans ces différentes occasions ? Nous voulons essayer de faire ressentir exactement ce qui peut se passer, même dans des petits détails, dans ces cérémonies-là.


Et puis, il y a le fameux « Être ou ne pas être ». On va tenter de ne pas avoir une idée là-dessus mais de peser ce qui est dit et de le prendre en charge. On pourrait passer une vie à l’analyser mais finalement ce qu’il raconte est assez simple : comment passer à autre chose ? Qu’est-ce qui se passe dans ces situations qu’on n’ose pas quitter ?


L. D. : Le rapport au public est très important dans vos mises en scène.


T. P. : Oui et on essaie ici d’aller plus loin. Cette pièce offre finalement le fantasme qu’on a du rapport au public. Dans La Mouette, le public était présent mais il ne participait pas tant que ça parce qu’il fallait, selon nous, mettre la fiction en avant. Avec Shakespeare, du fait des théâtres circulaires dans lesquels les pièces étaient jouées, le public est présent, il est à vue, il est là. C’est je pense très important dans son théâtre, c’est au cœur même de son écriture. Ce qui est formidable avec lui, c’est qu’on sent que le public est toujours là, devant une bande d’acteurs qui joue. Cela ne veut pas dire qu’il faut le surligner mais c’est essentiel d’avoir cela présent à l’esprit quand on le joue, cela nous permet d’être en distance si on le souhaite puis de plonger au cœur des situations. C’est déjà Brecht et la distanciation ! Et il y a le plaisir de jouer et de la troupe. Shakespeare écrivait beaucoup pour une bande d’acteurs, il fallait des petits rôles pour tous.


Dans Hamlet, il y a beaucoup de moments où l’on sent qu’il y a une écriture rapide et une autre moins.
Il s’amuse aussi, c’est pour cela que je parle de divertissement. C’est un théâtre de troupe qui était monté très très très vite. À mon avis, cela se montait en très peu de jours et c’est important d’y penser. Cela fait du bien de se dire : il faut y aller !

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