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The Silence

+ d'infos sur le texte de Falk Richter traduit par Anne Monfort
mise en scène Falk Richter

: Entretien avec Falk Richter

Entretien réalisé par Fanny Mentré, collaboratrice littéraire et artistique au TNS

Le titre THE SILENCE existait avant l’écriture du texte. Pourquoi ce choix, et en quoi a-t-il été un déclencheur, un moteur pour écrire ?


Je m’intéresse à ce que l’on tait dans les familles, ce que l’on tait dans un couple, ce que l’on tait dans la société face à des sujets politiques fondamentaux comme la catastrophe climatique imminente. Tout le monde peut compléter la phrase : « Dans ma famille, on n’a jamais parlé de... » ; il y a certains récits qui ne sont jamais interrogés, mis en doute, il y a des sujets dont on ne parle pas, dans toutes les familles, tous les couples, dans tous les pays. Même dans nos démocraties occidentales, on persécute des personnes qui énoncent des vérités sur des sujets tabous : les cas de Julian Assange, Chelsea Manning, Edward Snowden, prouvent que la liberté de la presse n’est pas réelle, et que certains sujets ne peuvent pas être abordés publiquement. En Allemagne, on parle à peine du fait que Scholz, le chancelier, est impliqué dans le plus grand scandale bancaire de l’histoire de la République fédérale, qu’il a aidé des banquiers à échapper à un redressement fiscal de plusieurs millions d’euros − et les preuves ne manquent pas. Quand il est interrogé à ce sujet, il répond qu’il aurait rencontré plusieurs fois ces banquiers malfaiteurs, mais n’arrive pas à se souvenir de la teneur des discussions. Face aux accusations, sa réponse est le silence. Se taire profite souvent au maintien des structures de pouvoir injustes et corrompues. J’ai connu ces structures de pouvoir injustes à l’intérieur de ma famille. Mon père était un homme d’affaires influent et important. À 18 ans, il avait été mobilisé comme soldat, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant neuf ans, il a vécu avec deux femmes : son épouse officielle, bourgeoise, de son âge, et ma mère, qui avait quatorze ans de moins que lui et travaillait comme apprentie dans son entreprise, avec qui il a eu une liaison. Un enfant est né. Jusqu’à ma naissance, il a caché ma mère et ma sœur dans un appartement lointain, hors de la ville, et est resté marié avec sa première femme. Mes parents n’ont jamais parlé de cette période. Mes parents ne voulaient jamais parler du fait qu’ils étaient réveillés presque toutes les nuits par des cauchemars, car les images non digérées de la guerre − qu’ils avaient vécue dans leur chair − continuaient de les arracher au sommeil. Tout ce qui n’est pas digéré, continue à vivre, les choses ne disparaissent pas quand elles sont déniées et tues. Aujourd’hui nous vivons dans une société qui a accumulé tellement de crises qu’on ne s’y retrouve plus. J’ai rarement vécu une période où il semble y avoir si peu d’avenir. C’est pourquoi j’ai décidé de me replonger dans le passé, d’analyser avec plus de précision ma famille, mon enfance et ma jeunesse. Je suis allé chez ma mère une semaine avec le documentariste Lion Bischof et j’ai dit : « Mon père est mort depuis deux ans et demi. S’il te plaît, parlons de tout ce dont on n’a jamais pu parler. » Et c’était le début du projet THE SILENCE. C’est aussi devenu un travail sur la façon dont on réduit certaines personnes au silence. « To silence someone », en anglais, décrit le processus qui amène quelqu’un à ne plus poser de questions, ne plus débusquer les contradictions des récits communs, ne plus parler de lui. On peut ainsi faire disparaître des gens. « Silence = Death » était le slogan des militants de la communauté LGBTQI+ dans les années 80, au moment de l’épidémie du SIDA, et il signifiait que l’homophobie ne pouvait plus être taboue dans cette société, qu’il fallait enfin aborder les réalités, les vies des non-hétérosexuels, en dépassant les clichés homophobes humiliants et discriminants. Mes parents en étaient incapables. C’est aussi un sujet que j’aborde avec ma mère. Je tente de briser le silence.


Est-ce que le terme d’« autofiction » te semble juste ?


Il y a quatre chapitres dans ma pièce. Les deux premiers étaient pour moi un défi que je me suis lancé, celui d’écrire sur un mode autobiographique, de ne rien poétiser. J’ai tenté de me souvenir avec le plus de précision et d’honnêteté possibles. Le souvenir est toujours une forme de fiction. Tout ce qui est écrit ne reflète que la vision de l’auteur. C’est le cas d’un texte dramatique comme d’un texte journalistique. Pourtant, j’ai essayé ici de m’en tenir vraiment aux faits, tels que je me les rappelle et tels que je les présenterais devant un tribunal. Les chapitres 3 et 4 sont des textes autofictionnels. Là, je m’invente sous les traits d’un personnage et j’y travaille avec un matériau autobiographique et fictionnel, pour créer une situation dramatique et raconter une histoire qui n’a pas eu lieu. En réalité, j’ai préféré écrire les parties fictionnelles. Je préfère au vrai Falk Richter le personnage fictionnel de Falk que va jouer Stanislas Nordey : il ressent plus de choses, est plus courageux, plus drôle, plus révolté, et même plus méchant et plus anarchiste que moi. Je reste un gentil garçon bourgeois. Mon Moi autofictionnel est plus libre, exigeant, a une petite tendance criminelle sympathique et ne se préoccupe aucunement des règles sociales. Au cours de ce processus, j’ai ressenti encore une fois que l’écriture et le théâtre sont des espaces qui me permettent de comprendre ma famille − mais aussi d’échapper à ma famille et aux expériences traumatiques impossibles à aborder dans ce cadre −, de créer un autre monde, un monde fictionnel, dramatique, qui est pour moi tout aussi réel que le monde de mon histoire originale. Dans une première note d’intention d’écriture, tu axais le point de départ sur la mort du père : un fils (toi) s’adresse à son père qui vient de mourir.


Finalement, le texte s’ouvre sur l’histoire de ta mère et sa perception : selon elle, il n’y aurait presque rien à dire, il n’y aurait rien à écrire. Comment ce changement d’axe s’est-il opéré ?


La mort de mon père est un thème qui traverse tout le spectacle. Il a rejeté toutes mes tentatives d’avoir un dialogue éclairant avec lui avant sa mort. Il voulait que je le laisse tranquille. Jusqu’à la fin, il ne voulait pas être remis en question, ni lui ni ses actes. Le patriarcat se bat avec ténacité jusqu’au bout. Il n’autorise aucune critique, ne veut pas revenir sur ses actes de façon critique. Le système dans lequel nous vivons aujourd’hui est dangereux, il nous projette vers une limite où la planète deviendra invivable si les personnes en position de pouvoir − qui sont pour la plupart des hommes − ne commencent pas à reconnaître enfin les conséquences de leurs actes, à s’interroger sur les pratiques sociales, politiques et culturelles des dernières décennies et à ouvrir la voie à des actions nouvelles, constructives, collectives, qui prennent au sérieux les défis de la catastrophe écologique plutôt que de la minimiser ou la dénier. Ces processus de minimisation, voire de déni, d’une injustice ou de problèmes menaçants, je n’ai cessé de les vivre en travaillant sur THE SILENCE, d’une part dans un domaine très intime, en me confrontant à ma famille, mais aussi à travers les médias ou les décisions politiques. « Silence = Death » au XXI e siècle signifie que la vie sur cette planète ne va pas tarder à disparaître si nous ne rompons pas le silence sur cette question. Nous sommes aujourd’hui face à la plus grande disparition d’espèces que cette planète ait connue depuis des millions d’années. Personne n’en parle. Sur des sujets vraiment existentiels, le monde reste très silencieux.


Dans le chapitre 2, intitulé « Straight World Order », tu parles des violences sociales et familiales liées à l’homosexualité, des « lois de la virilité hétéronormée », du racisme, et tu évoques le parallèle avec les exterminations durant la Seconde Guerre mondiale. Penses-tu que cette violence est perçue différemment en Allemagne et en France − dans le sens où il y aurait une conscience plus vive en Allemagne ?


Le « Straight World Order », l’Ordre Mondial Hétéro, est le règne qui régule et contrôle dans le monde entier les frontières entre hommes et femmes. Quand on dépasse ces frontières − quand on est visiblement gay, lesbienne, non binaire ou trans, ou qu’on s’éloigne trop de la représentation classique de la femme −, ce système autoritaire hétéronormé s’empresse de vous punir, dans votre corps même. La violence, contre les personnes trans, contre les personnes homosexuelles et queers, contre les femmes, est encore énorme, dans le monde entier. En France, la très réactionnaire « Manif pour tous » fait de telle sorte que les queers sont régulièrement attaqués, verbalement et physiquement. En Allemagne, la semaine dernière, une jeune personne trans qui rentrait chez elle après une Pride Parade a été tabassée au point de finir à l’hôpital. Les hommes hétérosexuels s’arrogent le droit d’humilier, d’offenser, de frapper et d’assassiner les hommes et les femmes qui ne correspondent pas à leur vision étroite et réactionnaire de la masculinité et de la féminité. On fait bien comprendre aux femmes et aux queers que leur droit à l’intégrité physique n’est fondamentalement pas garanti. Mais cette réalité, elle aussi, est souvent passée sous silence. La violence qui s’exerce contre les queers et les femmes n’a aucun écho médiatique en Allemagne. La violence homophobe est minimisée ou déniée. Malheureusement, les personnes queers n’ont pas vraiment voix au chapitre dans les médias. Dans cette mesure, la France est bien plus avancée, grâce à des auteur·rice·s important·e·s comme Didier Éribon, Édouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie, Virginie Despentes et bien d’autres.


Dans le chapitre 3, tu crées un parallèle entre le corps mort du père dans la maison et le réveil des souvenirs d’un premier amour adolescent, de la naissance de la sexualité. Comment as-tu eu l’idée de cette structure saisissante ?


C’est dans le chapitre 3, donc la partie fictionnelle. À la mort du père, les anciennes blessures se rouvrent. L’homophobie agressive des parents, le discrédit jeté sur la vie homosexuelle, sa diabolisation excessive dans l’Allemagne très conservatrice de l’époque d’Helmut Kohl − où l’homosexualité s’apparentait au crime, à l’exclusion sociale et à la mort causée par le SIDA − ont fait que le personnage principal a été incapable de construire un rapport serein et agréable avec son propre corps, son propre désir. Il appelle son premier amoureux, avec qui il a partagé ses premières expériences sexuelles quand il avait 14 ans, et essaie de le persuader, trente ans après, de rattraper aujourd’hui ce qu’ils n’ont pas osé à l’époque, de se toucher enfin et de coucher ensemble, vraiment, ce qui leur était alors impossible, du fait de leurs inhibitions et de la honte inculquée par leur éducation. Dans les entretiens que nous avons filmés, ma mère m’a raconté qu’on ne lui a jamais rien dit sur la sexualité, que personne ne lui a expliqué comment une femme peut avoir des relations sexuelles avec un homme et que tous deux y prennent du plaisir. Elle explique que c’est mon père qui l’a initiée, elle a fait l’amour pour la première fois avec lui − son patron, alors qu’elle était encore mineure. Pendant l’entretien, je me suis rendu compte que moi non plus, personne ne m’avait jamais rien dit, à l’école on nous montrait des schémas des organes sexuels féminins et masculins, mais personne ne m’a jamais dit comment un homme pouvait coucher avec un autre homme, à quoi ressemblait une relation entre deux hommes, comment un adolescent homosexuel peut développer un rapport positif à son propre désir. J’ai grandi dans les années 80 dans une petite ville près de Hambourg. En Allemagne, c’est la CDU qui était presque toujours au pouvoir − je ne sais pas à quel point les Français en ont conscience, mais jusqu’à la fin des années 80, la CDU était composée presque exclusivement d’anciens nazis, ainsi certains des pires criminels nazis continuaient à sévir en politique. Un ancien nazi emblématique qui a été actif pendant trente ans à la CDU dirige aujourd’hui l’AfD, le parti d’extrême droite. L’Allemagne n’a jamais traversé une phase de réelle dénazification. Au lieu de cela, pendant des décennies, personne n’a parlé du national-socialisme, les anciens bourreaux, à de rares exceptions près, n’ont pas eu à rendre compte de leurs actes... Ce silence et ces mensonges permanents sur les crimes, voire les actes des parents et grands- parents, ont énormément marqué ma génération. Je dirais que beaucoup de personnes de mon âge ont une relation extrêmement problématique avec leurs parents. Nos parents étaient hantés par ce qu’ils avaient vécu pendant la guerre ou l’après-guerre sans jamais pouvoir en parler ouvertement ni se remettre en question, leurs propres traumas les occupaient tellement qu’ils ne s’intéressaient pas à nous, étaient incapables d’empathie face à nos problèmes ; j’irais même plus loin, et je dirais que, du fait de leurs traumatismes suite à la guerre, mes parents n’étaient pas capables d’amour. Et beaucoup, parmi mes amis, disent la même chose. Comment un enfant survit-il sans l’amour de ses parents ? Je pense que c’est cette question qui m’occupe dans THE SILENCE.


Le chapitre 4 est composé de courtes conversations téléphoniques. Dans l’une d’elles, il est dit : « Il faut qu’on désapprenne. » Créer des questionnements, changer la perception du monde, est-ce ce qui te pousse notamment à écrire ?


Je crois que le grand devoir qui est le nôtre et celui de la génération suivante est de désapprendre des pratiques assimilées comme le racisme, l’homophobie, la misogynie, une combativité agressive et solitaire découlant du néolibéralisme, si nous voulons que l’humanité survive. J’ai aussi écrit THE SILENCE pour analyser le nombre de messages et d’injonctions toxiques que mes parents m’ont transmis. Il faut désapprendre les comportements destructeurs, et apprendre l’empathie et l’action collective. Le Nord global doit développer des projets avec le Sud global sur un pied d’égalité pour infléchir et accorder nos actions face à la catastrophe climatique. Il faut intégrer les besoins des non-humains dans nos décisions politiques... L’empathie, oui, des initiatives empathiques, lucides, qui prennent en considération les besoins de la génération à venir − humains, animaux, plantes −, au lieu d’opprimer, exploiter et anéantir les humains et les animaux.


« Le Requin du Groenland » est le titre du chapitre 5. Ici, l’auteur est à la fois totalement isolé et en pleine prise avec le monde, via les images qui lui parviennent. Était-ce une expérience inédite ou as -tu toujours le sentiment d’écrire ainsi ?


Ce qui est nouveau dans ce texte pour moi, c’est que j’essaie de porter mon attention sur les habitants non humains de cette planète et d’établir une relation émotionnelle avec eux. Ma pièce traite de la violence faite aux femmes − ma mère en est un exemple −, aux homosexuels et aux queers, de la violence généralement infligée aux enfants par leurs parents, et, à la fin de la pièce, de l’incommensurable cruauté que nous exerçons sur les animaux. Nous nous transmettons cette violence de génération en génération. Cela doit s’arrêter. Je lisais hier que vingt États américains vont réintroduire les châtiments corporels à l’école. Ce qui produit des êtres traumatisés, incapables d’empathie, qui vont se placer dans le continuum de la violence − en l’exerçant sur d’autres humains, sur des animaux, sur la planète. On vit une période de backlash. Une partie de l’humanité recule sur l’axe du temps et rêve d’un prétendu âge d’or où tout aurait été mieux − le passé dont ils rêvent est une fiction, en réalité ils rêvent d’un nouveau fascisme. Dans ces temps où un monde incertain de plus en plus complexe fait peur, beaucoup pensent que la solution est un leader charismatique, dictatorial. Ils s’arc-boutent sur leurs positions à toute force et refusent de réinterroger nos erreurs des dernières décennies, et d’ouvrir de nouvelles voies. J’écris pour rendre de nouvelles voies visibles. C’est mon espoir en tous cas.


Le cinéaste Lion Bischof a réalisé un film, dont les séquences, intitulées « mère et fils », s’insèrent dans le spectacle. Le tournage a-t-il eu lieu en plusieurs étapes ou dans la continuité ? Était -il évident de convaincre ta mère de participer à un projet artistique ? Cette expérience a-t-elle modifié les rapports entre vous ?


Nous étions pendant une semaine à Buchholz dans la Nordheide pour tourner avec ma mère. Elle était très séduite par l’idée et avait très envie de participer au projet. Peut-être que ça lui plaisait, tout simplement, de passer beaucoup de temps avec son fils. C’était très facile de parler avec elle de sa propre enfance. Elle a raconté beaucoup de choses. En revanche, elle a plutôt refusé d’entrer en profondeur dans mon enfance et ma jeunesse. C’était pour elle impossible d’entendre ma version de l’histoire, ça lui était insupportable et elle ne cessait de me faire taire. C’est ce qu’on voit dans le film. On voit ma mère lutter pour défendre sa version de l’histoire. D’après elle, on était une famille formidable, ma sœur et moi n’avons manqué de rien. Selon ma mère, les problèmes qu’il pouvait y avoir étaient causés par nous, les enfants, parce qu’on était difficiles, compliqués. Elle explique qu’elle a intercepté mes lettres et lu mon journal intime uniquement pour me protéger, pour éviter que je tourne mal. Elle explique ses sorties homophobes contre moi lorsque j’étais jeune par son ignorance totale de ce qu’était l’homosexualité. En Allemagne, le début des années 80 a été marqué par une idéologie issue de l’époque de la guerre et influencée par le nazisme. Ce n’était pas facile pour les homosexuels en Allemagne, je crois que la France, la Hollande, la Scandinavie ont toujours été beaucoup plus libérales sur ce sujet. Ma mère ne se considère à aucun moment de sa vie comme coupable, ni même partie prenante. Elle vient d’une génération d’enfants de la guerre qui n’ont pas mis en doute l’autorité, se sont accommodés de tout, et, pendant longtemps, n’ont pas interrogé leurs préjugés sur les Noirs, les Juifs, les homosexuels. Je pense malgré tout que le travail sur le film nous a rapprochés. J’ai compris les blessures vécues par ma mère tout au long de sa vie, elle veut se protéger des émotions qui pourraient la submerger mais qu’elle a réussi à refouler jusque-là.


Peux-tu parler de l’acteur Stanislas Nordey, de ton choix de faire de lui ton « double » sur le plateau ?


Stanislas est un ami, et c’est un acteur formidable ; je ne connais aucun acteur capable de porter aussi bien mes textes sur scène que Stanislas Nordey. Il connaît très bien mon écriture, il me lance des défis quand il trouve qu’un nouveau texte n’est pas encore assez fort. Nous débattons sur la forme et le contenu. Pendant les répétitions, je continue à travailler sur les textes, je les réécris quand je ne suis pas satisfait. Je considère que c’est une grande chance d’avoir rencontré Stanislas et de travailler avec lui depuis plus de quinze ans. J’espère que nous ferons encore beaucoup de nouveaux projets ensemble.


Est-ce que le fait qu’il ne soit pas allemand, que vous ne parliez pas la même langue, a une influence sur ta manière de travailler ?


Comme artiste, je me sens toujours un peu plus libre en France qu’en Allemagne. En France, on accorde plus d’importance à l’œuvre d’un auteur, d’une autrice. En Allemagne, mes textes et moi avons parfois été vraiment attaqués. Le parti d’extrême droite AfD a assigné quatre fois en justice ma pièce FEAR pour l’interdire − sans succès, heureusement. Les chrétiens extrémistes ont déversé un tel shitstorm contre moi que j’ai reçu des menaces de mort sur Internet et que j’ai parfois dû, lors de mes apparitions publiques, être sous protection policière. En fait, je suis toujours heureux quand je fais du théâtre en France. J’aime la vie ici, il y a en France actuellement des auteurs contemporains impressionnants, qui m’inspirent beaucoup. Dans le travail concret, c’est parfois chronophage de mettre en scène dans une langue étrangère, car tout ce que j’écris doit d’abord être traduit avant que les acteurs français le lisent et le comprennent. Je m’efforce actuellement d’améliorer mon français pour être capable de suivre les acteurs et bien me faire comprendre. Ce que j’aime beaucoup, c’est surtout cette sorte de distanciation brechtienne qui se crée par le dispositif, où mon histoire personnelle est racontée et jouée par Stanislas Nordey − qui n’est évidemment pas allemand −, ce qui rend encore plus lisible que n’importe quel texte, même un texte à l’évidence autobiographique, ça n’est jamais que de la fiction et nous faisons ici du théâtre. THE SILENCE est une pièce de théâtre, pas un film documentaire. C’est de la fiction.


Le son et la musique auront-ils une place importante dans le spectacle ?


La bande-son fera référence à l’époque de ma jeunesse. Le musicien Daniel Freitag reprend des univers sonores proches des premiers albums de The Cure. La musique permet toujours un accès émotionnel aux souvenirs et s’adresse directement aux émotions des spectateurs.


Pour finir, comment vois-tu ce texte dans ton parcours ? A-t-il une place particulière dans ton histoire d’homme et d’écrivain ?


C’est le texte le plus personnel que j’ai jamais livré au public.


  • Falk Richter. Entretien réalisé par Fanny Mentré, collaboratrice littéraire et artistique au TNS, en septembre 2022. Traduction Anne Monfort
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