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Têtes rondes et têtes pointues

mise en scène Christophe Rauck

: R(e)ich et riche font bon ménage

« Un conte d’horreur »

J’ai rencontré deux fois Brecht, avec Le Cercle de craie caucasien et La Vie de Galilée.
Comme Shakespeare, il croit aux histoires qui changent le cours de notre vie. Il a foi dans le théâtre. Retrouver Brecht, c’est repartir au coeur du chaos d’un entre-deux-guerres qui va redessiner le XXe siècle et plus largement notre histoire contemporaine. Avec Têtes rondes et Têtes pointues, il peint une toile sombre, marqué par le désir d’en découdre et de témoigner de la brutalité d’un monde qui va bientôt basculer dans la bestialité. Mais il convoque la musique et les chants pour éclaircir les parts d’ombre des personnages, et comme dans L’Opéra de Quat’sous pour permettre au plus grand nombre de venir écouter la fable politique sur fond d’opérette populaire.
C’est ce double aspect qui est intéressant : Têtes rondes et têtes pointues est une farce politique drôle et pathétique. Ses personnages sont des clowns noirs qui dansent et chantent un monde où la fin ne fait que justifier les moyens au prix du sacrifice des plus nombreux pour les intérêts des plus riches. Il n’y a pas de morale et c’est pour cela que l’on rit. La pièce s’ouvre sur un État en crise. Un État que la surproduction de blé a réduit à la misère. L’État doit trouver de l’argent et vite. D’un côté, les métayers, regroupés en un mouvement contestataire (La Faucille) ; de l’autre, les cinq grands propriétaires terriens qui refusent de renflouer les caisses avant que la révolte ne soit matée. Il est en effet vital pour eux que soit éradiquée toute contestation qui remettrait en cause un système économique fondé sur l’exploitation des paysans. Pour cela, l’État choisit de mettre en avant un homme nouveau, Iberin. Patriote, il a l’idée de présenter la situation autrement que sous un angle d’inégalité et d’exploitation économique, en stigmatisant ceux qui se révoltent et en donnant d’autres causes à leur lutte.


Comme souvent chez Brecht la société de classe corrompt l’individu. Pauvres et riches sont attachés les uns aux autres. Dans Têtes rondes et Têtes pointues, c’est ce couple infernal que Brecht peint sur fond de xénophobie, où pour les besoins des plus riches « l’homme devient un loup pour l’homme ».
Le cynisme des uns va rencontrer la cupidité des autres et tout finira par s’acheter ou se vendre, la liberté, la vie, l’amour.


Seules les deux jeunes premières trouveront grâce à nos yeux. Face au grotesque des situations qui jonchent la pièce, la mélancolie des jeunes filles inscrit l’histoire dans une terrible noirceur. Nanna et Isabella sont toutes les deux prisonnières de leur condition. L’une dans une maison close se fait exploiter par une mère maquerelle, l’autre pour rentrer au couvent se fera spolier de sa fortune par la mère supérieure. Les enfants n’ont pas d’avenir dans cette société, ils ne sont que les proies fragiles d’une humanité dégénérée qui n’hésitera pas à se servir d’eux pour sauver ses avoirs et ses privilèges.
C’est sûrement pour cela que Brecht situe sa fable au Yahoo, en référence à Jonathan Swift qui, dans le livre IV des Aventures de Gulliver, surnomme l’homme dégénéré le « Yahoo » face aux « Houyhnhnms », les « chevaux pensants ».
Le texte est très didactique, assez « sec », il n’y a pas de psychologie ou de sentiments entre les personnages. Le ressort est le profit. Si l’on est aussi didactique sur la période historique, on risque de perdre la force universelle du propos de Brecht, et sa poésie. Il n’y aura donc pas de référence à la période hitlérienne, ni d’actualisation. Au contraire, le décor, les costumes soulignent la fable, le fameux « il était une fois ». Le décor figure une ville, faite de différents plans et frises en carton, comme dans les livres d’images articulés. L’ensemble est léger, très mobile, et permet d’ouvrir ou de resserrer l’espace, et de jouer sur les points de vue et le rythme de la narration. Les chansons, écrites par Arthur Besson, sont plus nombreuses que dans la version originale. Tout cela tracera un chemin vers un univers assez sombre, mais onirique, avec un petit côté « carnaval », « farce et attrape ». Pour être finalement au plus près du « conte d’horreur » imaginé par Brecht.

Christophe Rauck

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