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: Extraits

Portrait d’une jeune fille en verre


Tom 1 :
— Nous habitions à Saint Louis, un appartement au troisième étage sur Maple Street, juste à côté d’un garage. D’une laverie chinoise et de la boutique d’un bookmaker camouflée en tabac. J’avais un caractère bizarre, du genre qui vous prédispose aux changements radicaux ou aux catastrophes. Pour le moment, j’étais poète et je travaillais à l’entrepôt. Ma soeur Laura, elle, était encore plus difficile à définir. Elle ne faisait aucun mouvement vers le monde extérieur, elle se tenait pour ainsi dire sur la rive comme si elle sentait que l’eau serait trop froide pour y tremper le pied. Elle n’aurait jamais bougé un cil, ça j’en suis sur, si ma mère, une femme assez agressive ne l’avait pas inscrite de force, à l’école de commerce, quand Laura eut vingt ans. Sur l’argent de « ses magazines » (ma mère vendait des abonnements à des magazines féminins), elle avait même payé six mois d’avance.


Tom 2 :
— Seulement ça n’avait pas marché. Laura avait bien essayé de mémoriser le clavier de la machine à écrire en restant assise, tous les soirs, après le dîner, le fixant silencieusement pendant de heures, tandis qu’elle nettoyait et faisait briller sa collection de petits bibelots en verre. Notre mère me recommandait de me tenir tranquille.


La mère :
— Ta soeur apprend son clavier.




Les jeux de l’été


Isabelle Grey :
— Oui ma chérie, je sais, c’est horrible, ces affreux moustiques sont atroces, mais Maman ne peut rien faire. Rien du tout. Ce n’est pas Maman qui a créé les moustiques et elle ne peut pas les tuer à ta place. Et non… Je ne peux pas te laisser entrer dans la maison, pas encore. Non, mon trésor, pas maintenant. Maman a horriblement mal à la tête. Oui ? Non, je te dis. Je sais que tu ne te tiendras pas tranquille. Tu dois apprendre à t’amuser toute seule, mon ange. Tu ne peux pas attendre toujours après Maman pour t’amuser. On ne peut pas dépendre toujours des autres. Tu sais ce que tu peux faire en attendant que je n’aie plus la migraine. Tu pourrais sortir la voiture du garage et faire le tour du pâté de maison. Ne va pas jusqu’à la grande rue. Et puis, tu pourras t’arrêter à l’ombre et gentiment attendre que Maman se sente mieux, qu’elle puisse s’habiller et sortir. Alors Monsieur Pollitt sera là pour une bonne petite partie de croquet. Est‐ce que ce ne sera pas divin ? Cela lui fait tant de bien de jouer au croquet.


Eddy :
— Avant que Brick Pollitt n’arrive. Parfois une demi heure avant, comme si elle pouvait entendre sa voiture à cinquante kilomètres sur la grand‐route, Marie‐Louise s’élançait un peu lourdement et commençait à installer les arceaux et les piquets du jeu si longtemps désiré. Et tandis qu’elle faisait cela, son petit derrière potelé, sa poitrine naissante et ses cheveux cuivrés tressautaient à l’unisson.


Pierre :
— Je la voyais du haut de ma maison. Elle travaillait pour ainsi dire contre la montre. Elle savait que plus vite elle aurait fini, plus grandes seraient ses chances de pouvoir jouer avec Monsieur Pollitt et sa mère. Parfois elle n’était pas assez rapide ou alors c’est eux qui l’étaient trop et quand elle avait enfin fini, toute en sueur, c’est la véranda qui était vide. Alors elle appelait, en pleurnichant, ses cris ponctuaient la nuit avec la régularité du bruit des voitures de sortie pour une petite promenade à la fraiche.




Sucre d’Orge


Emilie :
— Il était une fois, dans un port du sud des Etats‐Unis, un vieux marchand retraité qui s’appelait Monsieur Krupper. Il était quelconque et peu attirant et n’avait pas de proche famille. Il avait possédé un petit magasin de bonbons qu’il avait vendu des années auparavant à un lointain cousin. Mais Monsieur Krupper n’avait pas abandonné tous ses intérêts dans son ancien commerce au grand dépit du cousin, de sa femme et de leur fille de douze ans que Monsieur Krupper s’obstinait a appeler avec l’affection inlassable d’un vieil homme pour un bon mot : La parfaite petite citoyenne du monde. Un titre inventé par le cousin, lui‐même quand elle n’avait que cinq ans et que ses tendances à l’obésité n’étaient pas aussi inquiétantes qu’à présent. Les cousins trouvaient cela maintenant déplacé même si Monsieur Krupper le disait gentiment :


Monsieur Krupper :
— Et comment va la parfaite petite citoyenne du monde ?


Manu :
— Va mourir, répondait la petite fille.


Monsieur Krupper :
— Qu’est‐ce qu’elle a dit ? Faites la répéter. Vous savez bien que ma tension me donne des bourdonnements.


La cousine :
— Il avait l’air de ne pas entendre mais personne ne peut être sûr de rien en ce qui le concernait.


Le cousin :
— On ne peut pas toujours hurler, mon oncle.




La Malédiction


La logeuse :
— Lucio avait trouvé un travail à l’usine C’était le genre de travail qu’il avait toujours fait. Un truc qu’on fait avec les mains sans beaucoup réfléchir.


Lucio :
— Une chaine claque au dessus de vous, vous ajustez quelque chose et la chaine continue. Mais chaque fois qu’elle passe devant vous, elle emporte un petit peu de vous. La force coule de vos doigts, remplacée par une autre force qui vient du fond de votre corps et qui s’écoule aussi. A la fin de la journée vous vous sentez vraiment vide. Qu’est‐ce qui est parti de vous et… où est‐ce que c’est allé ? Pourquoi ? Alors, vous achetez les journaux du soir. On y trouve peut‐être une réponse. Peutêtre que la dernière édition vous dira pourquoi vous vivez et pourquoi vous travaillez. Mais non, rien. (…) Alors le journal vous tombe des doigts et vous avez mal à la tête. Oh, mon Dieu ! Et quand vous vous levez le matin, le soleil est exactement au même endroit où il était hier, au dessus du cimetière. A l’usine, le contremaître ne vous aime pas et vous savez très exactement que vous ne garderez pas ce travail longtemps… et ça, ça vous obsède.


Fabienne :
— Il n’y a avait que les soirs avec Nitchevo que Lucio se sentait mieux. La présence de la chatte éloignait tous les mauvais sorts. Mais vous imaginez bien que Nitchevo se moquait du mauvais sort. Pour elle tout était prédestiné et il n’y avait pas à s’inquiéter. Tous ses mouvements étaient lents, gracieux et sans agitation. Ses yeux ambrés regardaient chaque objet avec sérénité. Même pour sa nourriture, elle n’était pas pressée. Lucio lui rapportait du lait.


Lucio :
— Nitchevo restait assise en attendant que le lait soit versé dans la soucoupe ébréchée. Puis elle s’approchait doucement de la soucoupe bleu pâle. A ce moment‐là, elle levait la lumière de ses yeux jaunes avant de commencer à boire puis elle baissait sa jolie tête et allongeait sa langue de satin rose et toute la chambre se remplissait enfin du doux bruit de son lapement.

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