: Avant propos
Il y a 7 ans, j’ai participé à l’élaboration d’animations pour le Cire (Coordination et
initiatives pour les réfugiés), autour de la problématique du droit d’asile : L’objectif de ses
animations était de rendre compte du parcours chaotique des demandeurs d’asile, depuis
les raisons de leur départ jusqu’à leur arrivée en Europe, en Belgique dans ce cas précis,
dans les bureaux de l’Office des Etrangers.
J’ai eu l’occasion à cette époque, de rencontrer des sans papiers détruits par leur voyage,
par l’accueil reçu en Europe, si loin des fantasmes de liberté et de richesse véhiculés dans
leur pays d’origine.
J’ai rencontré des individus n’ayant plus de contact avec leur famille, leur passé, depuis
des années. Étant revenus sur leur histoire, leur voyage, les raisons de leur départ tant de
fois, que leur passé ne leur appartenait plus. Sans oublier les approximations et demi
vérités énoncées pour séduire des fonctionnaires qui derrière leurs guichets voient défiler
tous les miséreux du monde.
Ils finissent par ne plus savoir d’où ils viennent ni pourquoi ils sont là.
Aujourd’hui, avec Ténèbres, j’aimerais mettre en lumière le dernier aspect de cette
problématique, faire entendre des voix singulières, des individualités et tout ce qui dans
cette tragédie peut résonner en nous.
En effet, le texte de Henning Mankell, en dehors de son projet/sujet politique nous met
face à la schizophrénie naissante de ces êtres, à leurs souffrances individuelles,
auxquelles tout un chacun peut se retrouver confronté lorsqu’il perd contact avec le
monde, lorsqu’il se retrouve isolé sans possibilité de participer à la vie de la cité et à son
évolution.
D’autre part, ce qui m’a frappé à la première lecture de ce texte, et qui a plus directement fait écho en moi, c’est la façon dont Mankell a réussi, grâce à sa langue et à ce qu’il met en jeu entre les personnages, à traduire les rapports complexes que peuvent entretenir des pères et leurs filles dans les cultures du sud, et plus singulièrement dans les familles arabo musulmanes. En effet, l’omnipotence patriarcale telle qu’elle est décrite, atteignant parfois certaines extrémités dues au contexte de la pièce, est d’une justesse qui m’a fait, à la lecture, passer du rire aux larmes
- Le père :
- Tu ne débarrasses pas la table d’abord ?
- La fille :
- Je le ferai pendant que l’eau bout.
- Le père :
- Non, ça m’angoisse, tu dois faire les choses une par une sinon ça ne va pas.
- La fille :
- Quelle importance ?
- Le père :
- Pour moi c’est important. Et je ne veux pas que tu me contredises. Je n’ai pas envie de me mettre en colère. (Il hurle). D’abord tu débarrasses la table, ensuite tu prépares le thé. Je ne tolérerai aucun manquement aux règles
Henning Mankell nous parle de liberté, de notre rapport à l’autorité, et de ce à quoi nous sommes résolus pour contester cette autorité lorsqu’elle met en péril notre épanouissement, nos libertés individuelles et collectives.
Bouchra Ezzahir
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