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Le Tartuffe

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Laurent Delvert

: Note d'intention

Dans un pays en crise, où les financiers et les faux dévots prennent le pouvoir, tant bien que mal, une famille résiste…


Une histoire de famille d’aujourd’hui


C’est l’histoire de cette famille que je souhaite raconter. Une famille comme la mienne, provinciale et bourgeoise. Une famille catholique pratiquante.


Orgon, le chef de cette famille, a perdu sa femme. Au lendemain du deuil, il se remarie avec Elmire, une très jeune femme, pleine de vie, et la famille recompo- sée tente de se reconstruire. Après des années de faste et de forte implication sociale, Orgon entame une re- traite de ses activités mondaines, une quête intime, spi- rituelle. Renonçant également aux apparences du luxe, la famille vit dans un espace qui n’est ni un intérieur, ni un extérieur, un lieu lui aussi en reconstruction.


C’est l’histoire de ses enfants, Damis et Mariane qui grandissent et doivent prendre leur place dans la famille et dans la société. Laquelle ? La leur, ou celle qu’il leur a prédestinée ?


Damis veut devenir un artiste, musicien, sculpteur, un peu tout ça, mais pas faire comme papa. Papa n’aime pas. Mariane, bien sage, fait tout ce qu’on lui demande, tant qu’elle peut se marier comme convenu avec Valère, son amoureux.


Tous les trois et leurs préoccupations d’ados, partagent avec Elmire les désirs de se rencontrer, s’unir et s’aimer.


Une bande d’Ados


Je m’intéresse depuis fort longtemps à Tartuffe, troublant personnage. Avant tout, un séducteur : c’est un hypocrite, un manipulateur, un escroc. Un acteur qui porte un masque. Je me pose donc la question : qui est-il vraiment ? Je me demande aussi : pourquoi est- il comme ça ? Me disant que, dans le fond, ça aurait pu m’arriver à moi aussi : mettre un masque pour tout obtenir.


Je m’intéresse donc à son humanité, à sa solitude, à son errance, à ses failles, à ce qu’il n’a pas ou n’a pas eu qui le pousse à tout prendre : comme la place de Damis dans le coeur et la famille d’Orgon par exemple… Un en- fant sans famille qui cherche à se faire une place dans une famille qui n’est pas la sienne.


J’ai choisi de mettre en scène un très jeune Tartuffe. Un sérieux et dangereux rival pour Damis et Valère. Une oreille attentive, un directeur de conscience, la rencontre d’un fils spirituel pour Orgon, qui endeuillé, déboussolé, va le choisir et le préférer à son propre fils. Il le déshérite et donne tout à Tartuffe, sa nouvelle vie, jusqu’à sa fille en mariage.


Un prêtre


Les dévots que connaissait Molière n’existent plus et raconter cette histoire au XXIème siècle nécessitait de lui trouver une dimension actuelle. De nos jours, quel est cet homme dévoué à la religion, à qui il est donné une place particulière dans la société et que l’on recon- naît comme tel jusque dans sa tenue vestimentaire ? J’ai très vite imaginé que Tartuffe soit un jeune prêtre d’aujourd’hui. Un personnage charismatique et très sé- duisant, qui puisse être accueilli au mieux par une fa- mille catholique. Avec tous les honneurs que l’on doit à sa fonction.


Puis, comme l’ «interdit» donne toujours matière à fan- tasmer, j’ai voulu mettre en scène la version censurée de 1664. Elle n’est pas éditée et je me suis retrouvé en revanche face à de nombreux écrits qui font part de la présentation qui a eu lieu à Versailles devant la cour et le Roi. Le héros est un ecclésiastique dont l’habit pos- sède un petit collet. La gazette du 17 mai 1664 quali- fie la pièce, dont le titre est alors “l’Hypocrite“ : d’ « injurieuse à la religion et capable de produire de très dangereux effets ».


On peut imaginer le scandale que produisit cette pièce à l’époque : y voir un prêtre amoureux, séduisant et dé- sirant ardemment la femme de son hôte…


Désormais, on peut se confronter à nouveau à cette brûlante question. Au sein même de l’Eglise Catholique, dont je fais partie intégrante, le débat sur la sexualité des prêtres, leur possibilité de se marier, ne serait-ce que pour éviter leurs déviances dévoilées et assumées, est ouvert. Je souhaite y participer. Je crois que les au- toriser à avoir une vie d’homme ne les rendrait pas pour autant moins bons pasteurs.


Religion Alors ce prêtre qui peut aimer, ce prêtre-hypocrite et escroc, est-ce une attaque en règle contre la religion ca- tholique ? Ou contre les religions ? J’affirme que non.


Cependant les religions ont cette limite : chacune nous enseigne que sa doctrine est celle en laquelle il faut croire afin d’être sauvé et de sauver le monde. Chaque religion démontre que l’autre ne peut avoir raison. Ain- si, en oubliant l’amour et le respect de l’autre qui en sont leurs fondements, chacune ne crée qu’intolérance.


Intolérance et haine d’autrui, au profit de quoi ou de qui ? Géo-stratégie, économie, élections : manipulations en tout genre.


La politique et la religion ont des valeurs semblables : l’épanouissement et le bien-être de l’homme mais la fâ- cheuse tendance à utiliser l’une au profit de l’autre de- vient un réel danger. Religion et politique doivent être dissociées.


Il ne s’agit donc pas de moquer la religion mais de mettre en garde contre l’utilisation de la foi à mauvais escient et de pointer les usurpateurs, les manipulateurs au nom de cette même pseudo appartenance à la foi chrétiennne.


Molière a subi cinq ans de censure pour enfin voir se jouer une pièce remaniée et édulcorée mais dont le dis- cours et l’essence première sont bel et bien restés : dé- crier l’hypocrisie et prêcher la véritable dévotion.

Laurent Delvert

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