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Tableau d’une exécution

+ d'infos sur le texte de Howard Barker traduit par Jean-Michel Desprats
mise en scène Christian Esnay

: La Pièce

Poète, dramaturge, Howard Barker est aussi peintre. Tableau d'une exécution offre de ce point de vue une excellente introduction à son interrogation esthétique. Le récit, tout en décrivant les étapes de la fabrication d'un tableau dans la Venise de la Renaissance, aborde quelques thèmes sur lesquels Barker a souvent réfléchi : quelles relations l'artiste entretient-il avec le pouvoir qui lui commande ses oeuvres ou le public qui les consomme ? Quelle est la responsabilité du poète vis-à-vis de la vérité ? Le titre même de Tableau d'une exécution laisse entrevoir la variété des problèmes abordés. En anglais comme en français, une "exécution" désigne aussi bien la réalisation d'une oeuvre qu'une mise à mort. Les deux sens peuvent bien entendu se superposer ou se confondre - surtout chez un auteur tragique comme Barker, qui a pu confier un jour : "pour moi, l'idée de la tragédie est avant tout de nous permettre d'entrer dans la mort. Ainsi, les expériences que subissent les personnages de mes textes les préparent à quitter le monde des vivants. De fait, l'héroïne de Tableau d'une exécution, la femme peintre Anna Galactia, doit à sa manière fougueuse et sans concessions de conduire ses affaires (dans l'art comme dans la vie) de se retrouver à croupir au fond des geôles de la République de Venise... Galactia, il est vrai, finit par échapper à la mort, et à cet égard, superficiellement, son personnage peut sembler s'être soustrait à la loi tragique. Mais à y regarder de plus près, c'est peut-être l'artiste qui périt en elle, et qui s'exclame douloureusement après sa libération : "Être comprise c'est la mort. Une mort atroce..." L' "exécution" de l'artiste Galactia est inséparable de celle de son oeuvre. Tableau d'une exécution nous fait effectivement assister au travail d'élaboration, de préparation, de recherche préalable conduisant à la réalisation du tableau. Nous entrons dans l'atelier de Galactia, nous surprenons ses échanges avec son collègue et amant Urgentino ou avec ses filles, ellesmêmes peintres, nous l'entendons interroger ses modèles, de l'amiral au combattant anonyme. Mais l' "exécution" signifie aussi la mise en application d'une sentence (généralement capitale), c'est-à-dire le terme ultime et fatal d'un processus. Et de fait, Tableau d'une exécution nous propose également de suivre les tribulations ou le destin de la toile au-delà de son achèvement. De même, en effet, que Galactia est d'abord jetée en prison, son scandaleux chef-d'oeuvre est d'abord soustrait aux regards. Or l'histoire ne s'arrête pas là, car le Doge Urgentino le sait bien :contre la virulence d'une oeuvre, une certaine forme de tolérance peut être un antidote beaucoup plus efficace que la censure la plus brutale. Un art privé de sa part d'ombre - divulgué, expliqué, exposé en pleine lumière, livré aux puissances corrosives de la publicité et du consensus - n'est-il pas en passe d'être insidieusement maîtrisé, étouffé sous les interprétations et les éloges officiels? Comme le confiait Barker dans un récent entretien, "nous vivons à un moment de l'histoire de la démocratie où nous vouons un tel culte à la transparence que cela en devient oppressant. C'est une forme de répression. Dans ce contexte, je pense que l'art doit rester secret". Si tel est bien le cas, alors à quel prix, par quelles voies ironiques ou dissimulées ces deux libertés singulières - celle de l'artiste, celle de chaque individu devant son oeuvre - parviennent-elles malgré tout à s'entendre silencieusement ?

Daniel Loayza

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