: Ouvertures
Pas de fidélité sans échange, c’est dire que la fidélité suppose deux termes, deux individus, ou un individu et une société, une institution, et une relation entre ces deux termes. Sur l’île déserte, pas de fidélité. Avant d’être valeur morale, la fidélité est une nécessité sociale qui s’organise autour de la constitution d’un pacte régi par des règles fixes. Les règles changent selon les époques, les lieux et les domaines. Mais elles existent, qu’il s’agisse d’espionnage ou de sociétés polygames. (…)
La fidélité est un parcours, avant tout, un parcours à obstacles, et parfois monstrueux. Il faut
avancer, combattre, vaincre et revenir. Ce n’est déjà pas facile. Mais ce parcours suppose une
direction, un but à atteindre : pas de fidélité – que ce soit dans un couple, une croyance, une
vocation – , sans visée, même si elle change en cours de route, et que la fin devient moyen. Et
ce parcours suppose une mémoire. (…)
Pour paraître infidèle, qui peut savoir au fond de quelles fidélités la lutte s’est nourrie, et pour
être fidèle, combien de trahisons ?
Cécile Wajsbrot,
Préface à La fidélité (extrait), Éditions Autrement, Série Morales, 1991.
On oppose souvent la tragédie antique au drame moderne, comme s’il était dépourvu de
dimension tragique. Il est vrai que, pour les anciens Grecs, « l’action la plus réfléchie garde le
caractère d’un appel hasardeux lancé vers les dieux »(1), alors que l’humanité moderne est
confrontée à sa liberté, face à un monde désenchanté dont elle croit pouvoir maîtriser les
forces. Lorsque s’effacent les dieux ou les puissances avec lesquels les mortels devaient
compter, la tragédie semble laisse place au drame. Les hommes n’ont plus affaire qu’à euxmêmes
et à leurs semblables. (…)
Mais l’homme moderne n’a-t-il pas, lui aussi, affaire à une destinée aveugle ? L’enfer et le
diable prennent de nouveaux visages, parmi lesquels figurent le désir et la haine, l’hérédité
physique ou morale, consciente ou inconsciente. (…)
Sous la forme de l’autre, il a encore un destin ou des dieux qui se moquent de nous. (…)
Si l’homme moderne semble éloigné de la « sauvagerie primordiale » qui inquiétait les Grecs,
le désir sexuel reste violent, voire incontrôlé, parfois criminel, souvent incompatible avec le
« monde policé ». Combien d’oeuvres théâtrales ou cinématographiques, classiques ou
contemporaines, nous font assister aux catastrophes où conduisent des désirs sexuels ou des
relations amoureuses prohibés par l’ordre familial et social établi ! Depuis Phèdre jusqu’aux
héros de Bergman dans De la vie des marionnettes, de Louis Malle dans Fatale, ou ceux de
Woody Allen dans Match Point, et tant d’autres, le désir sexuel, avec ses complications, se
révèle comme une puissance dangereuse à laquelle les êtres humains ne peuvent pas toujours
résister, capable de les entraîner à leur perte, voire à la furie criminelle.
Autrement dit, sous l’amélioration des relations sociales entre les hommes et les femmes, la
fiction dramatique continue de nous parler des tragédies de l’amour et du couple.
Le drame, dit Denis Guénoun, c’est « ce qui reste du destin quand les dieux ont fui »(2). Nul
doute que l’amour et son revers, la haine, ne forment pour les humains un programme fatal.
Sylviane Agacinski,
Drame des sexes (extraits), Éditions du Seuil, 2008.
(1) Jean-Pierre Vernant, Mythe et tragédie en Grèce ancienne (1982), OEuvres, Seuil, « Opus », 2007.
(2) Denis Guénoun, Actions et Acteurs. Raisons du drame sur scène, Belin, 2005.
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