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Sur le concept du visage du fils de Dieu (Sul concetto di volto nel Figlio di Dio)

mise en scène Roméo Castellucci

: Entretien avec Romeo Castellucci

Propos recueillis par Jean-Louis Perrier

Qu’est-ce qui est à l’origine de votre nouvelle création, Sur le concept du visage du fils de Dieu ?


Romeo Castellucci : Un tableau, le Salvator Mundi, peint par Antonello da Messina. Un jour, en feuilletant un livre, je suis tombé sur ce portrait de Jésus que j’avais étudié des années auparavant, aux Beaux-Arts de Bologne. J’ai littéralement été saisi par ce regard qui plonge dans vos yeux : j’ai marqué une pause, très longue, qui n’avait rien de naturelle et j’ai compris qu’une rencontre s’opérait. Je n’étais pas seulement devant une page de l’histoire de l’art, mais devant autre chose. Il y avait un appel dans ce regard. C’était lui qui me regardait, tout simplement. Dans Sur le concept du visage du fils de Dieu, ce regard du Christ est central et rencontre chaque spectateur, individuellement. Le spectateur est sans cesse observé par le fils de Dieu.


Sous ce regard, vous placez une scène de vie terriblement triviale…


L’axe entre le portrait et le spectateur croise en effet celui tracé entre un père incontinent et son fils qui doit partir au travail, alors même que son père est victime d’une crise de dysenterie. Le rapport entre le spectateur et le portrait du Christ, qui veille avec bienveillance sur lui, est ainsi entraîné dans une turbulence provoquée par le débordement du père. Je voulais comprendre l’amour et la lumière dans cette condition de perte. L’incontinence du père est une perte de substance, une perte de soi. Ce n’est pas la mort, mais elle fait tout autant souffrir.


Vous situez-vous plutôt du côté du père ou du côté du fils ?


Dans ce cas-là, je crois, du côté du fils. Dans ce que l’on peut ressentir, on s’identifie plus facilement au fils : chacun est seul face à la merde et celle de l’autre devient la nôtre parce qu’elle représente un lien avec lui. Il y a nécessairement un transfert qui s’opère entre le spectateur et le fils. Le spectateur doit faire face aux sentiments qui animent le fils, c’est-à-dire la patience, la pitié, l’amour, mais aussi la colère et la haine. Puis il y a une rupture dans la pièce : la dimension scatologique dépasse alors tout réalisme et la situation devient métaphysique. On passe de la scatologie à l’eschatologie et l’on bascule dans une dimension métaphorique de l’oeuvre.


L’atmosphère de Sur le concept du visage du fils de Dieu n’est pas sans rappeler celle de Purgatorio ? Avez-vous consciemment souhaité raccorder ces deux spectacles ?


Oui, c’est totalement volontaire. Entre ces deux propositions, l’esprit est différent, mais la forme est proche. Une situation qui se déploie en un long plan-séquence. Un homme mis devant d’autres hommes – les spectateurs –, qui, par un effet de miroir, se retrouvent eux-mêmes mis à nus.


Si cette pièce joue sur le miroir, elle joue aussi sur les contrastes ?


Cette pièce est à la fois l’expérience d’une profonde humiliation – celle du père qui ne peut plus se retenir et laisse filer dans son flot de matière sa dignité – et celle d’une profonde manifestation d’amour – celle du fils – qui vient illuminer la situation, telle une lumière divine. C’est au spectateur de répondre à l’énigme qui lui est posée.


Votre théâtre essaie-t-il d’approcher l’ineffable ?


Au théâtre, on est face à l’ineffable, bien sûr, comme dans tout art. Sinon, on tombe dans le descriptif, dans les objets, dans le domaine de la communication ou dans celui des médias.


Mais vous avez besoin d’éléments pour approcher l’ineffable, vous avez besoin d’objets…


C’est une contradiction merveilleuse : pour dire toute la puissance qui réside dans le fait de ne pas dire, il faut le dire. Il faut des objets, il faut de la matière, il faut de la merde, il faut de la vulgarité et cette vulgarité s’illumine par la simple conscience d’être face à l’ineffable.


Pensez-vous que le théâtre puisse approcher le sacré ?


Oui, mais ce n’est pas un sacré doctrinal. On ne peut pas vraiment le saisir. Il est là. C’est une épiphanie individuelle propre au spectateur. Mais il est bien là, dans la rencontre entre l’image qui n’est jamais donnée et celui qui la regarde. On se situe au-delà du mysticisme. C’est autre chose, car le rôle du théâtre n’est pas d’offrir un quelconque salut.


Comment concevez-vous votre rôle d’artiste ?


Je pense que l’artiste doit disparaître derrière son oeuvre.

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