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: Entretien avec Christophe Perton

propos recueillis par Pierre Notte

Y a-t-il eu pour vous un déclencheur, un élément qui a déterminé la nécessité de revenir à l’oeuvre et à l’écriture de Peter Handke ?


Je n’ai jamais interrompu ni mon travail ni ma relation à l’oeuvre de Peter Handke. Je le considère tant du point de vue dramaturgique que littéraire, comme un de nos auteurs les plus essentiels. Après Les Gens Déraisonnables en 1998, j’ai mis en scène Préparatifs pour l’immortalité en 2003, Jusqu’à ce que le jour vous sépare en 2008. J’ai traduit en collaboration avec Sylvia Berutti une pièce inédite Trace des égarés, mais j’ai aussi à la direction de la Comédie de Valence passé commande d’une création à Olivier Werner en 2007, Par les villages et coproduit en 2004 Gaspard mis en scène par Richard Brunel.


S’agit-il de pièces d’atmosphère ? Quelles sont leurs couleurs, leurs tonalités singulières ?


Toute l’oeuvre de Handke baigne d’une tonalité singulière. Sa force, c’est sa capacité d’observer et de retranscrire avec la minutie d’un entomologiste. D’observer le monde, les hommes, les couleurs, et d’infimes détails qui en s’additionnant parviennent à faire exister une sensation, à exprimer la quintessence de l’existence. La tonalité particulière de Souterrainblues consiste à briser la gangue des conventions et des apparences avec l’art de l’insulte telle qu’initiée par Schopenhauer et Diogène avant lui. C’est une quête de vérité et d’absolu. Au delà des apparences c’est paradoxalement une déclaration d’amour au monde et à l’humanité. Toute la pièce pourrait être placée sous le regard des présocratiques et particulièrement celui de Diogène ou d’Héraclite.


Quelle est pour vous la clé de La Femme gauchère ? C’est une longue crise de mélancolie, d’abnégation et de solitude ? ou plutôt une lente et victorieuse libération ?


La Femme gauchère est un féminin possible de L’Heure de la sensation vraie. Mais je crois qu’il y aurait un contresens à voir dans le roman de Handke une dimension purement féministe. De ce point de vue le roman paru en 1974 a peut être été l’objet d’un quiproquo qui le faisait coïncider accidentellement avec les mouvements féministes. Comme souvent chez Handke, intervient chez Marianne un minuscule évènement, de ceux que nous vivons tous chaque jour, un « tout à coup » je sens, je vois, je flaire, un frisson, un sentiment inédit. Marianne n’a rien d’une révolutionnaire, c’est une femme très commune sans aspirations particulières. Sur un « coup de tête » elle saisit ce « tout à coup » et lui laisse la possibilité d’exister en elle. Elle éprouve alors la quintessence de son individualité, mesure la part aliénante du couple et des conventions auxquelles elle s’était bien volontairement pliée jusqu’alors.
C’est une expérience violente, radicale, qui lui fait goûter l’amertume de la solitude la plus profonde, celle de se retrouver sans fard avec soi-même, et qui pourrait dans l’absolu faire d’elle une femme dangereuse pour la société. Elle dit d’ailleurs à un moment « la seule action politique que je comprenne, c’est l’amok ». Ce qui est beau c’est qu’elle contamine ainsi son entourage, les gens qu’elle croise, et que la fable veut que l’expérience conduise alors chacun à une sorte de révélation.


Dans quel espace allez-vous organiser les bouleversements de La Femme gauchère ?
S’agira-t-il du même espace que Souterrainblues ? Envisagez-vous les deux pièces sous la forme d’un diptyque ?


L’espace des deux créations est devenu commun par la force des choses. Nous avions prévu initialement de créer les deux textes dans des lieux distincts. Puis Jean-Michel Ribes m’a proposé de les réunir dans un même lieu. La contrainte de l’enchaînement des deux spectacles m’a naturellement amené à concevoir un espace unique et évolutif. On retrouve une même quête d’exigence et de vérité au travers des deux personnages principaux, qui au masculin comme au féminin, posent à trente années d’intervalle la question récurrente du couple. Dans une certaine mesure je pense que l’on peut ainsi envisager le voyage proposé comme une sorte de diptyque.


Peut-on ignorer quand on s’empare de ses pièces, les affaires «Handke», ses prises de position lors de l’enterrement de Milosevic ?


À plusieurs reprises Peter Handke est revenu sur le sujet, il y a répondu clairement par écrit dans la presse et plus récemment encore à la radio. Déjà auparavant Handke avait invité ceux qui l’accablent à lire ses livres. J’y vois personnellement une oeuvre majeure et salutaire qui a toujours manifesté, et cela jusqu’au plus récentes publications, un humanisme incontestable. Le théâtre le plus contemporain de Peter Handke est laissé à l’écart en France alors qu’il est naturellement créé et joué dans les autres pays d’Europe où la presse salue régulièrement la puissance et l’audace de sa dramaturgie. Les appels à boycotter le théâtre de Handke sur les scènes françaises ont eu indéniablement des répercussions et une sorte de climat intimidant a sans doute imposé une vague d’unanimisme et une chape de silence lestant durablement son oeuvre. Il faut espérer que ces temps sont à présent derrière nous.

Christophe Perton

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