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Sombre rivière

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mise en scène Lazare

: Entretiens avec Lazare

par Jean-François Perrier (MC93)

MC93 : Après la trilogie que vous avez présentée ces dernières années, Sombre Rivière est-il un nouvel épisode de ces travaux ou le début d’une nouvelle recherche ?


Lazare : Très clairement il est lié à la trilogie dans le sens où il s’y réfère souvent. Le personnage principal de Sombre Rivière est un poète, qui s’appelle Lazare, interprété par le comédien Julien Vila, qui cite ses œuvres antérieures et les présente, avec beaucoup d’humour et en se moquant de lui-même, comme prémonitoire par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui. Il part du constat que sa trilogie n’a pas vraiment été entendue alors qu’elle éclairait des événements historiques ou sociologiques dissimulés, car gênants, qui expliquent, en partie, la confusion dans laquelle nous sommes. Il regrette que les fantômes qu’il avait convoqués et ressuscités n’aient pas été entendus. Il regrette que ses alertes n’aient pas vraiment été considérées. Mais ses regrets sont presque joyeux et toujours sans amertume et jamais il ne cède au désespoir. Cette pièce est certainement aussi la première d’une autre trilogie que j’ai déjà largement imaginée.


MC93 : Une fois regretté cette surdité, que propose cet auteur ?


Lazare : Dans l’urgence il téléphone à deux personnes très proches qui sont essentielles dans sa vie : sa mère et le metteur en scène Claude Régy, deux sources d’inspiration qui n’appartiennent pas au même monde mais qui, chacun à leur place, apportent à l’auteur leurs réflexions et le font progresser dans sa propre démarche. On ne les entend jamais directement, leurs paroles ne sont pas retranscrites mais en écoutant ce que dit l’auteur on peut percevoir assez simplement ce qu’ils ont proposé et les questions qu’ils ont posées.
Il y aura donc une série, non pas de conversations téléphoniques, mais d’« appels » de l’auteur vers ces deux personnes très chères qui vivent évidemment dans des mondes différents mais se posent les mêmes questions. Charles Baudelaire appelait Edgar Poe avant d’écrire un poème. L’auteur « appellera » aussi d’autres amis pour savoir s’ils sont toujours vivants. Je préfère ce mot « appel » plutôt que le mot « conversation ».


MC93 : S’agit-il alors d’un monologue ?


Lazare : Pas du tout. C’est une pièce qui réunit des acteurs-musiciens- chanteurs car elle est construite très musicalement, avec beaucoup de chansons. Entre eux, ils abordent la question du désir frustré qui souvent crée cette séparation entre des mondes qui s’éloignent l’un de l’autre. Il y a un fossé qui correspond à la séparation sociale bien sûr mais aussi à ces désirs retranchés, à cette impossibilité de partager, à ces différences qui sont sans cesse marquées et imposées comme des stigmates. Pour moi, il y a un rapport immédiat entre le désir et la mort. Eros et Thanatos traversent la pièce en gérant leurs forces respectives.


MC93 : Pourquoi donner une large place à la musique et au chant ?


Lazare : Le titre du spectacle est une référence directe à une chanson qui appartient à la mémoire toujours vivante des noirs américains lorsqu’ils reviennent vers la sinistre période de l’esclavagisme. La rivière était le lieu où les traces des esclaves en fuite se perdaient dans l’eau, empêchant les chiens de les poursuivre. Mais cette référence n’est qu’une petite part des raisons pour lesquelles il y a des chants divers et multiples dans le spectacle.
Il y a des chants de travail, des chants pour les morts, des chants de mariage, etc. Il ne s’agit pas de chanter seulement pour le plaisir mais parce qu’à travers le chant on peut faire entendre différemment les mots et les pensées qui s’y rattachent, car avec le chant il y a une possibilité de beauté et de légèreté. On chante les morts de Sétif et de Guelma de 1945 mais aussi les morts de Paris et de Nice qui sont aussi « mes » morts, « nos » morts. Je ne veux pas être « plombé » par la mort, je ne veux pas être prisonnier de l’angoisse ambiante. Je ne veux que proposer la rencontre du possible et de l’impossible loin de la tristesse, de l’effroi et de la solitude.


MC93 : La musique est-elle improvisée ou construite ?


Lazare : Elle a été écrite très précisément à partir du texte pendant une période de répétitions consacrée uniquement à ce travail. Elle est identique à chaque représentation, ce qui semble évident à partir du moment ou les acteurs ont souvent à suivre cette partition pour faire entendre le texte. Je voulais vraiment qu’il y ait en permanence texte et musique ensemble et pas de musique illustrative ou d’intermède.


MC93 : Comment avez-vous composé cette équipe, ce collectif d’artistes ?


Lazare : Il y des guitaristes-acteurs-chanteurs venus du groupe La Rue Kétanou, qui travaille sur le reggae, le folk, la musique tsigane et la pop, un batteur, une flûtiste-comédienne, un contrebassiste, une jeune violoncelliste-actrice, une comédienne-chanteuse et un acteur- chanteur. En fait ces divisions par spécialité sont très accessoires pour moi car les interprètes mélangent allégrement toutes les formes artistiques que j’ai convoquées sur le plateau du théâtre. Le texte des « appels » est parfois monologué mais le plus souvent il est partagé par un chœur auquel participent tous ceux qui sont sur scène.


MC93 : Vous avez toujours privilégié le parler-écrit, une langue très écrite mais fortement inspirée par le parler quotidien que vous entendez autour de vous. Est ce encore le cas pour cette nouvelle œuvre ?


Lazare : Il y a plusieurs formes d’écritures, de la prose, des vers chantés, mais toujours imaginées pour faire résonner la langue française dans un rapport naturel à ses sonorités. Une langue qui soit vraiment musicale, qui permette aux mots d’aller au-delà de leur sens. Mais quand j’écris je veux qu’il y ait toujours une part de secret qui soit conservée. Il faut faire confiance au spectateur et à sa part de rêverie. On n’est pas là pour rendre tout simple et clair, surtout ce qui ne l’est pas...
J’aime une certaine naïveté aussi, une naïveté qui provoque l’émotion. J’aime aussi convoquer des personnages connus ou peu connus, vivants ou morts, comme Marine le Pen, Sarah Kane, des chanteurs de raï, des jeunes de Vaulx-en-Velin, des fonctionnaires municipaux... Et même la bêtise sera personnifiée sur le plateau...


MC93 : Le personnage central de l’auteur est-il aussi, comme vous, metteur en scène ?


Lazare : Oui et la pièce raconte aussi ses difficultés à mettre en scène le texte qu’il a rédigé, empêché qu’il en est par ce qui l’entoure dans le monde réel. Il est un peu un oracle cerné par ces désirs contradictoires qui le portent autant vers l’amour que vers la mort, il est partagé entre une certaine impuissance et une volonté farouche de se faire entendre. Il a des choses à dire sur la cité, sur la destruction peut être nécessaire de tout ce qui produit division et haine. Il convoque aussi des prophètes rageurs...


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2017.


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