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Si ce n'est toi

+ d'infos sur le texte de Edward Bond traduit par Michel Vittoz
mise en scène Romain Deneuville

: Présentation

« Lorsque les hommes ne peuvent plus s'écouter les uns les autres, les armées surgissent ».
Edward Bond


Si ce n’est toi traite de la réalité de notre monde, de notre société actuelle. Située en 2077, la situation décrite par Edward Bond semble faire écho à notre propre corps social. L’action et les trois individus de la pièce sont placés dans une société dystopique, hygiéniste, aseptisée, blanche, propre, nette, qui exclut tout défaut, toute aspérité, tout relief. Toute singularité. Corps social qui contrôle les corps, vérifie les paroles, examine les actes. Aboutissant en fin de compte à la mécanisation des corps, à l’avortement des paroles et à la « perfection » des gestes. La violence, l'oubli, la lobotomie constituent les socles de cette « société d’ordre » nouvelle. Ce contexte ressemble étrangement à celui dans lequel nous vivons actuellement ou plutôt, encore une fois, à ce que l’on voudrait – avec bienveillance – nous imposer. « Ne fumez pas », « Ne buvez pas », « Évitez de manger trop salé », « Attachez votre ceinture au volant », « Pratiquez une activité physique régulière », « Mangez cinq fruits et légumes par jour », « Mangez bio », « Pensez vert » (et donc blanc : soyez purs), faites vous vacciner contre cette mauvaise grippe A (« les gestes de chacun font la santé de tous »)... Pensez comme nous ; dénoncez : c’est un geste citoyen ; ayez peur ; voyez l’avenir : propre et astiqué ; lissez, polissez, policez votre esprit ; vivez quantitativement ; oubliez qui vous êtes : nous vous dirons ce que vous devez être, etc., puissance10. Dans la prophylaxie grandissante et la peur de toute pandémie potentielle, le rapport à l’autre évolue et surtout diminue (rappelons-nous que ce n’est que très récemment que les États-Unis ont levé l’interdiction de voyage et d'immigration des séropositifs vers les États-Unis). Ne vous serrez plus la main, éternuez dans votre coude, parlez aux autres uniquement si vous portez un masque, ne portez pas de lunettes ni de pansements… Le rapprochement avec les films Soleil Vert (1978) de Richard Fleischer et de Bienvenue à Gattaca (1997) d’Andrew Niccol est alors évident.
Le texte d’Edward Bond sous-tend cette réalité inquiétante en faisant parler les personnages dans une langue sans sujet, expurgée de toute émotion. Langue complexe, différente et afférente à la société de contrôle qui automatise et régit les corps. Les personnages ne se parlent plus, n’échangent plus ; ils balbutient, crient, hurlent, pleurent…On peut penser à la « novlangue » et à la « double pensée » de Georges Orwell. Langue volontairement appauvrie dont le but est d’empêcher les locuteurs de construire une pensée complexe et critique. « La perfection des outils, c'est les camps de la mort. Pourquoi ? Parce que les outils ne possèdent aucun langage » . Jams, Sara et Grit sont réduits à l’état d’outil, outils servant aux dirigeants (au dirigeant ?), simples rouages d'une mécanique froide et implacable. Impalpable.
Dans cet univers l’expression artistique est bannie et l’imagination réfrénée. Le tableau que Jams « shoote » dans les ruines et que la vieille dame serre contre elle comme un objet salvateur qu’elle aurait connu avant le dérèglement social, économique et politique, est un symbole fort et nous donne un aperçu de ce que Bond pense de l’art :
« Afin d'être humains, les humains doivent se poser la question : comment crée-t-on l'humain ? On a laissé cette question de côté pendant deux millénaires et demi. Nos outils, nos machines et nos armes sont si puissants qu'ils peuvent se retourner contre nous et nous anéantir. Ou alors venir vers nous en toute amitié et nous changer en outils semblables à eux. Il n'est point étonnant que cet Age-ci soit celui de la désorientation. Il deviendra peut-être l'Age de la mort. Voilà pourquoi la France a besoin de ses artistes. Elle peut se les offrir. Même les premiers hommes qui ont gratté dans la boue avaient suffisamment de sagesse pour savoir cela  ».


Le décor est planté dans les didascalies de Si ce n’est toi : « Une pièce avec un mur au fond, une petite table étroite, oblongue et deux chaises – le tout assorti en bois noir et strictement utilitaire. Pas d’autres meubles, pas de décoration ». C'est un espace vide délimité par des murs lisses, opaques, qui ne doivent être traversés que par une lumière blanche, signe de l’asepsie…
La musique minimaliste renvoie les échos de lointains « bruits du monde » en murmures plaintifs. Elle rend compte de l’état de terreur et de chaos dans lequel les personnages sont immergés.

Romain Deneuville

24 avril 2011

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