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Six personnages en quête d’auteur

+ d'infos sur le texte de Luigi Pirandello traduit par François Regnault

: En quête de tout le théâtre.

par Emmanuel Demarcy-Mota

Un théâtre vide, un plateau nu, inutile de faire semblant. Ou plutôt si. C’est toute la question du semblant qui se pose ici, celle des rapports de l’illusion à la réalité. Est-ce parce qu’aujourd’hui, il nous semble que la réalité s’est substituée à l’idée, que la figure de ce monde passe et n’est qu’une illusion, que nous croyons que « le monde entier est une scène » ?


On a plutôt aujourd’hui le sentiment que l’illusion a gagné les corps et les âmes, et engendré ce malaise de sujets irrémédiablement divisés. On se retrouve sur une scène fantomatique, incarnée par des corps pris dans leurs rêves. On considère alors la vie de ces personnages au travers de ces agitations mal contenues, de ces violences mal étouffées du passé, prises ici dans le laboratoire de l’activité théâtrale.


La pièce de Pirandello peut exprimer toute sa puissance, sa force énorme, parce qu’elle contient un mystère qui est la contamination du monde visible par le monde invisible, « un monde surréel », où la magie cachée, terrifiante et meurtrière, à laquelle on ne pouvait pas s’attendre au départ, prend naturellement sa place dans le théâtre.


Le théâtre se trouve alors envahi par ce qui lui est essentiel, son propre cœur, sa sève : les personnages !
Des personnages qui ne sont pas seulement en quête d’auteur, mais de la totalité du théâtre, tout le théâtre doit se mettre à leur service, être vampirisé par leur existence, par leur inachèvement, par leur drame violent qui n’est même pas consommé. Ce drame qu’il faut répéter pour le faire advenir.


La richesse de ces imbrications met en place le vertige, et ouvre une réflexion sur la création théâtrale dans ses tenants et ses aboutissants les plus intimes. Le monde du théâtre devient comme le lieu de la fabrication de tous les possibles : de l’inceste à peine déguisé à la mort violente des innocents.
La famille des personnages se situe dans le futur par rapport à des acteurs qui sont dans le présent, qui fonctionnent comme un chœur au présent.


Et l’apparition soudaine de Madame Pace devient alors la mise à jour de la puissance scénique elle-même, qui ouvre une brèche où vient se glisser le personnage que requiert la situation ; le drame de la scène sexuelle et de la mort peut alors apparaître. On réinvente ici et maintenant une action passée, une scène primitive. Pour la Belle-Fille, cette répétition n’a pour but que de sceller l’irréversible de l’acte incestueux.


Cela a lieu sous le regard du Directeur de théâtre, qui voit que la scène redonne à ces personnages du sang frais, afin qu’ils puissent être des victimes coupables chez les vivants plutôt que de pâles héros chez les morts. Afin qu’ils puissent s’illusionner sur leur histoire.


C’est l’occasion ou jamais de chercher à dépasser les limites du théâtre, non en les niant, mais en les portant à des conséquences paradoxales. De faire un rêve moderne : un rideau tombe sous un souffle d’air, palpite comme une chose vivante, se fige dans l’immobilité absolue, un drap devient maison ou théâtre.


Un ring mobile, un échafaud, un radeau, où chacun se retrouve, comme dit le Père, « enchaîné et cloué pour l’éternité ».


  • Emmanuel Demarcy-Mota
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