: Note d'intention
Par Baptiste Amann
Je n’ai pas ici la prétention de dresser un quel-
conque portrait de la ruralité, ni même d’analyser ce
nouvel exode post-covid vers les campagnes que nous
connaissons aujourd’hui. Je laisse cela aux sociologues bien plus compétents en la matière.
Si je plonge mon récit au cœur d’une salle des
fêtes de village, c’est que je poursuis depuis la trilogie
Des territoires - autour d’un pavillon de banlieue -
une exploration des lieux sans prestige apparent,
dont le patrimoine est contenu dans la façon d’être
« habité ».
Je trouve cette notion d’habitation éminemment théâtrale. Elle contient la mémoire de l’enfance, le souvenir des étapes importantes de la vie,
la construction d’une relation aux autres et à soi.
Et surtout elle permet d’observer ce point de collision qu’il existe entre l’humanité telle qu’elle se rêve,
pleine de valeurs et d’idées, et l’humanité telle qu’elle
s’incarne, plus immature et faillible.
Dans le spectacle il est question d’utopie et
de désillusion, d’engagement et de séparation,
d’élan et de déclin (finalement de nos manières à
chacune et chacun d’habiter la vie), dans le but de
réhabiliter l’échec comme expérience structurante,
de contempler les réussites secrètes qui se nouent
sous nos effondrements.
Ainsi je l’espère nous assisterons à l’érosion du
sujet, qui finalement n’est pas central, pour faire
apparaître cette communauté d’habitants n’obéissant plus qu’au fil narratif des saisons qui passent,
des arrivées et des départs, des rituels pour conjurer
l’ennui, ayant l’air de vivre les choses depuis toujours
et pour la première fois. Non plus la communauté
d’un village, mais la communauté d’un roman.
L’espace
Après le pavillon de banlieue Des territoires, je
confirme avec Salle des fêtes mon goût pour les lieux
sans prestige.
Ce qui me touche beaucoup dans une salle des
fêtes, c’est que ce soit un espace protéiforme dont
la fonctionnalité n’est pas définie par la structure
mais par la façon dont on l’occupe. Tour à tour salle
de mariage ou de réunion, piste de danse ou bureau
de vote, il y a pour chacun des « occupants » de quoi
y inscrire un moment clef de son existence, en dépit
de l’apparente absence de charme du lieu.
Par cet attachement je souhaite continuer
à dérouler un fil de pensée qui m’est cher et qui
consiste à croire qu’un patrimoine existe moins par la
noblesse du bâtit, que dans notre façon de l’habiter.
La scénographie représentera le décor d’une
salle des fêtes au kitsch raisonnable. Il y aura un
vieux parquet au sol, des pendillons jaune moutarde,
une buvette, l’écusson du village et au fond une scène
surélevée. C’est une disposition qui permettra de présenter l’idée d’un théâtre dans le théâtre.
Comme il s’agira d’un huis-clos il faudra inventer
des espaces pour attribuer des statuts différents
au langage et contrer le naturalisme du décor.
Car dans les pièces que j’écris habituellement,
la parole navigue entre dialogues prosaïques et
échappées lyriques, morceaux romanesques et
situations de ludisme pur. C’est pourquoi je jouerai
de cet espace gigogne pour créer différents plans
pour la fiction.
Avec L’Annexe nous envisageons l’espace théâtral
comme celui de la reconstitution. Comme dans les
reconstitutions de scène de crime (où un juge d’instruction convoque l’assassin sur le lieu du meurtre,
où des acteurs prennent la place des victimes) le
théâtre est pour nous l’occasion de réactiver un sou-
venir, bon ou mauvais, pour le dénouer.
Ici la pièce commencera par un prologue où
Suzanne et Marion présenteront leur projet de vie,
décriront les usines, le village, en s’adressant directement au public pour ensuite rentrer dans la fiction.
Et dans la dernière partie, sur la scène du fond, apparaitra une forêt où se jouera tout le dernier acte.
Ce sera un espace onirique d’esthétique symboliste.
Il y aura donc un mouvement narratif qui partira
du contact en prise direct avec le spectateur pour
aller vers un état fictionnel proche du conte.
Faire et défaire
Bien souvent un évènement est envisagé comme
ce point de rendez-vous où les choses doivent se
jouer : un anniversaire, le passage de la nouvelle
année, un mariage, une élection... Or, il y a dans la
mise et la démise de ces évènements autant d’occasion pour déployer une parole souvent plus essentielle car moins soumise à la pression de l’échéance.
Prenons l’exemple d’un repas de famille : la préparation de l’apéritif ou l’exécution de la vaisselle sont des
temps souvent plus intimes et presque plus vivants
que n’est celui du repas en question.
Les quatre tableaux de la pièce s’enchainent dans
cet acte de faire et de défaire. On est soit avant l’évènement, soit après. À l’automne, la réunion du conseil
consultatif intervient après la crue. On assistera en
hiver à la répétition des vœux du maire et non à son
exécution. Ce sera la préparation du loto qui organisera le tableau du printemps et non le loto en lui-même. Et l’été sera présenté sous la forme d’une « fin
de soirée » post 14 Juillet.
Salle des fêtes s’appuiera donc sur ces temps
« d’avant » ou « d’après » pour renverser le rapport à l’évènement et porter attention à ce qui se
joue autour, comme si les enjeux de l’histoire trouvaient là un espace plus honnête pour apparaitre. Ce
choix dramaturgique me parait important pour évoquer l’utopie comme cet « évènement » irreprésentable dont les effets sont seulement perceptibles au
moment de sa préparation ou de sa déconstruction.
Le rapport à la maladie
Dans cette réflexion menée par la pièce vis-à-vis de
l’utopie, un des aspects qui me tient particulièrement
à cœur est le rapport à la maladie psychiatrique.
Le trouble bipolaire (employé désormais pour
remplacer le terme « maniaco-dépressif ») remonte
à l’antiquité. Il décrit un trouble de l’humeur
caractérisé par la succession de phases maniaques
et d’épisodes dépressifs.
Sans entrer dans les détails, un de mes proches a
subi pendant des années les affres de cette maladie.
J’ai donc assisté aux hospitalisations à répétition, à
la médicamentation insupportable, à la douleur mentale, aux crises, à tout ce que ces troubles provoquent
comme dégâts pour l’entourage. Et l’issue tragique de
cette histoire personnelle me constitue désormais.
C’est pourquoi j’ai eu envie de mettre en scène ce
sentiment désarmant de ne pas pouvoir aider celui
qu’on aime, et pire d’avoir le sentiment d’aggraver son
état en voulant à tout prix le « réparer ». L’idée n’est
pas d’alimenter une culpabilité morbide, mais, au
contraire, de venir vérifier qu’il y a aussi dans cette
épreuve de l’incurabilité, un apprentissage nécessaire de l’humilité qui est structurant.
Voir tout s’effondrer c’est aussi voir apparaître un
nouvel horizon.
En dépit des thématiques parfois graves de la
pièce, je ressens le désir profond de créer un spectacle chaleureux, non pas consolatoire, mais cathartique.
Salle des fêtes contient d’ailleurs cette jolie
polysémie (salles des fêtes / salle défaite / sale
défaite) comme une invitation à célébrer l’échec.
- Baptiste Amann
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