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Sainte dans l'incendie

mise en scène Laurent Fréchuret

: Portrait amoureux du théâtre sous la forme d’une figure en flammes

Je fais du théâtre depuis vingt ans. Ce sont d’abord les poètes, au sens large, qui m’ont amené au théâtre. Au travers d’écrits dramatiques ou non dramatiques, j’ai d’abord joué ces poètes sur scène en tant que comédien, puis je les ai mis en scène au sein de ma compagnie le Théâtre de l’Incendie. Pendant dix ans, nous avons créé une vingtaine de spectacles, des grandes traversées dans les œuvres de Samuel Beckett, de Cioran, d’Antonin Artaud, de Jean Genet, de Copi, d’Edward Bond, de William Burroughs, de Lewis Carroll. Notre pari était de jouer et d’incarner, avec une troupe et un espace, les univers singuliers de ces inventeurs de mots, de mondes. « Le théâtre, c’est le collectif, c’est la forme esthétique de la fraternité » comme dit le philosophe Alain Badiou.


En marge de cette aventure collective du théâtre, j’ai ressenti le besoin de mener une autre aventure, solitaire : l’écriture d’un journal poétique. Sainte dans l’incendie était la petite caverne personnelle au sein de ce Théâtre de l’Incendie. Comme le théâtre me fascine, ce poème est vite devenu un poème dramatique, un matériau destiné à une comédienne.
L’écriture a duré quinze ans, elle s’est faite par petites touches, par bribes : un mot, une phrase, une impression. Un grand sac rempli de petits bouts de papier, de fragments. Pas vraiment des idées, mais plutôt quelques obsessions, et leurs variations. Cet essaim de fragments devait trouver son dessin, les bribes n’attendaient qu’à être tissées, rassemblées grâce à un axe, un « fil conducteur ». Dans mon travail de metteur en scène, j’aime explorer les grandes figures de monstres fertiles, comme Artaud, Jean-Sébastien Bach, Le Roi Lear, Médée… Ces figures rayonnantes, qui relient tout ce qui passe autour d’elles, m’ont amené à chercher une figure qui puisse donner un corps à mon bric-à-brac de notes désordonnées.
Jeanne d’Arc s’est imposée comme une figure issue de cette époque fascinante qu’est la fin du Moyen Age, inscrite sur un fonds de légendes : une femme, une enfant, devient chef de troupe, et va réussir à faire couronner un roi. Cette figure a servi d’aimant à tous mes fragments. Sainte dans l’incendie est un poème pour voix et corps humains.


Lorsqu’on écrit sous forme de poème son journal intime, ses impressions, une sorte d’autoportrait se dégage, mais j’espère que le lecteur peut retrouver lui aussi son image dans ce miroir tendu. En 2005, j’en ai lu des passages au Cabaret « Le Limonaire » : mon texte a rencontré quelques personnes amies, Odja Llorca, Catherine Germain, François Cervantes, Renaud Lescuyer, qui m’ont encouragé à le faire lire. L’association « Les Journées de Lyon des auteurs de théâtre » a choisi de le faire publier avec le concours des éditions L’Act Mem Théâtre. Restait à savoir quel corps pouvait incarner ce petit livre.
Les heureux hasards de la vie m’ont fait rencontrer Laurence Vielle. Auteur et comédienne, Laurence éprouve la poésie dans son corps, dans sa voix, dans sa pensée. C’est quelqu’un qui a une force d’adresse publique, une singulière présence. Lorsque Laurence s’empare de ce matériau, j’ai l’impression de découvrir quelque chose qui ne m’appartient plus.


Une des raisons qui nous pousse à faire du théâtre, c’est lorsqu’on comprend que les gens meurent un jour, mais que les voix, elles, ne meurent jamais. Cela fait du bien. De même, les voix jouèrent un rôle essentiel dans cette tentative utopique de Jeanne d’Arc de croire à quelques rêves : aller faire couronner un roi, mener une guerre contre des Anglais qui ressemblent aux moulins à vent de Don Quichotte. On peut y voir une métaphore du théâtre : Jeanne est possédée par toutes les voix du monde. Evidemment, la France qu’elle sillonne, ce grand terrain vague, c’est la scène, le lieu secret, sacré et libre. Quand après son couronnement, le roi l’abandonne, Jeanne décide de reformer une autre troupe à la manière d’un metteur en scène qui tente, à chaque projet, de rassembler une nouvelle troupe autour d’un auteur ou d’une histoire. L’aventure terminée, il faut repartir vers un autre combat, il faut recommencer.
A la fin, Jeanne connaît la fascination pour le feu qui va la dévorer, la détruire, mais aussi la révéler. Au cœur des flammes, elle va vivre ses dernières visions, entendre ses dernières voix, lancer ses derniers mots avant que son corps ne tombe en fragments. Comme le poème, qui né de fragments rassemblés par une figure rayonnante, se disperse et se fragmente à nouveau dans le feu final.


Donc, Jeanne d’Arc est un prétexte, un alibi. Au cours de ce long processus d’écriture, cette figure ne s’est présentée que la dernière année. Finalement, Jeanne d’Arc m’intéresse peu. C’est Laurence Vielle qui m’intéresse, comédienne à voix nue, dans la petite salle voûtée de La Maison de la poésie, comme la figure de l’écorché des planches anatomiques qui laisse voir sous sa peau comment la vie circule.

Laurent Fréchuret

février 2010

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