Le travail de posture «a consisté pour Mélanie à placer, jambes écartées, les pieds sous le buffet (130 kilos) de la salle à manger 1 heure chaque soir. La pression exercée directement sur les chevilles avait pour but de favoriser et stabiliser l’écartement du bassin. Parmi les conséquences engendrées on peut noter :
− Qu’elle danse plutôt bien.
− L’obtention du 1er prix du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
− Un tassement au niveau cervical entretenant des insomnies régulières et la prise de médicaments corollaires». Etc.
Cette liste provient du texte de la pièce Sheep du collectif Zirlib. Les faits sont authentiques. Leur mise en circulation fictionnelle. Ce n’est pas que l’auteur Mohamed El Khatib veut nous barrer le chemin de l’émotion. C’est qu’il écrit avec ce qui se passe sur le plateau. Avec ses partenaires de collectif. Et c’est qu’alors il nous livre des clés du jeu, histoire qu’on le déjoue quand même.
On voudrait que l’art ne relève que du libre et du spontané, au-delà de toute contrainte. Illusion pure. L’art n’est qu’illusion travaillée. Dans la danse, ou le cirque, en particulier, les prouesses d’artistes découlent d’une domestication savante des corps, poussée à l’extrême. Quels barbelés mentaux peuvent expliquer ce genre de détermination ?
En eux-mêmes, aux sources du conditionnement, les artistes de Zirlib circulent aux franges de leurs disciplines, de la discipline où la langue poursuit le geste, et le geste la langue. Où «l’esthétique n’est pas dépourvue de sens politique», ils travaillent l’idée de rechercher encore activement «la part du vivant dans le spectacle vivant». Comme un risque réel, à la façon d’un animal, imprévisible.

Gérard Mayen