Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède est un livre étrange, dont tout le monde connaît le titre et un peu le sujet, mais qui en vérité est peu lu. Or, l’ayant lu en son entier, j’ai été non seulement séduite, mais captivée et l’idée m’est venue d’inventer une transcription théâtrale de ces aventures, telles que Selma Lagerlöf les avait imaginées pour initier les petits Suédois de son temps à la réalité géographique de leur pays.
A priori, l’idée de porter au théâtre un récit fondé sur un voyage fait à dos d’oie par un garçon dont la taille a été magiquement réduite à celle d’un petit gnome semble impossible. Mais j’aime relever de tels défis, et j’ai vu là au contraire une ouverture, un champ de possibilités pour le théâtre : des marionnettes à l’imagerie numérique, retrouver le sens du conte et produire sa leçon si subtile – une éducation de l’homme par le monde animal – tel est donc le but.
Dans un premier temps, accompagnée de Jean-Christophe Bailly que j’associe à ce projet, je suis allée en Suède, sur les traces des oies sauvages qui emportent Nils. Nous avons pu voir tout au nord les environs du mont Kebnekaïse, où les oies vont passer l’été et donner naissance à de nouvelles générations. Nous avons longé les mines de fer de Kiruna et, plus au sud, sommes descendus dans les mines de cuivre de Falun, le domaine du corbeau Bataki, un des héros du livre, mais aussi la ville où Selma Lagerlöf, alors institutrice, écrivit l’histoire de Nils Holgersson.
Mais c’est dans le Värmland que nous sommes justement tombés sur les oies sauvages, qui se reposaient dans une prairie juste sous la maison de Selma Lagerlöf, cette maison d’enfance qui avait été vendue à la mort de son père et qu’elle avait pu racheter grâce au succès de ses livres. Trouver là les oies, dans ce cadre, c’était comme un cadeau. Nous les avons revues ensuite, plus au sud, au-dessus de l’île d’Öland, sur la Baltique.
La Suède comme le reste du monde a changé depuis un siècle. Mais est-il toujours possible d’y laisser partir ou revenir le rêve d’une « merveilleuse histoire » comme celle de Nils ? A travers évocations, recoupements, scènes diverses et images, le spectacle interrogera cette possibilité, et la mettra en action, et le vol, l’idée de vol, en sera le vecteur.

Gilberte Tsaï