: Projet de mise en scène
A partir du texte de Luc Tartar, qui se présente comme un matériau avec des textes non distribués et sans lien apparent entre eux, je souhaite faire un véritable travail sur les points de vue, en donner des lectures qui ne sont pas écrites, éviter absolument la moindre illustration.
Nous avions envie de parler de notre génération, ou de ceux qui nous suivent immédiatement, autrement qu’avec des clichés. Il s’agit d’un message lucide, certes, avec ce que les premières découvertes des émois amoureux ont de peu reluisants. Mais surtout d’un regard plein d’espoir et d’humour sur des personnes en construction, sur ceux qu’on appelle dans les journaux une « génération sacrifiée » et qui devront quand même construire le monde de demain !
Le propre de l’adolescence est notamment d’être persuadé d’être seul à vivre les choses alors que tout
le monde, ou presque, passe par les mêmes tourments. Je travaillerai donc en mise en scène sur la
profondeur de champ à donner au texte. C’est-à-dire le mettre dans des situations concrètes, où, un peu
décalé, il prend soudain un sens et une épaisseur inattendus. Pour cela, nous travaillerons sur un
espace divisé en trois « chambres », c’est-à-dire trois espaces qui ne se voient pas, matérialisés peutêtre
simplement par un éclairage ou une limitation au sol. Ces trois espaces permettront de mettre en
jeu le même texte dans trois situations différentes, s’imbriquant et se répondant. Ce dispositif permet
non seulement de donner différents points de vue sur le même propos, mais aussi de rendre le
spectateur véritablement acteur de la construction de son spectacle, puisqu’il devra choisir ce qu’il
regarde…
De même, certains textes seront sans doute répartis de façon chorale, toujours à partir de situations très
concrètes, très vraies sans être réalistes. L’incarnation du même texte par des acteurs portant des
énergies ou des visions très différentes permet aussi de donner de la distance sur les situations vécues.
L’humour sera aussi un fil directeur de notre travail.
Le choix des comédiens s’est fait comme suit : je cherchais de jeunes acteurs, qui n’ont bien sûr pas
l’âge des rôles mais n’en sont pas très éloignés. Ceci non pas pour donner un sentiment de réalisme,
mais justement pour pouvoir utiliser des codes de jeu, des adresses au public, tout en restant justes
dans la parole portée. Il me semblait en effet que « jouer des ados » n’était pas intéressant, et qu’il
paraissait plus judicieux d’avoir une équipe où chacun aurait en lui quelque chose d’une énergie
juvénile, qui lui permettrait d’incarner véritablement ces textes sans verser dans la composition.
Les corps et le rapport à la normalité prennent une importance telle, à cet âge et dans la pièce, qu’il
me paraît évident que les corps des acteurs doivent pouvoir refléter ce moment de la vie.
En plus de cette touche de jeunesse, d’un corps crédible et d’une maturité artistique suffisante pour
pouvoir faire des propositions de comédiens et prendre une place dans un texte où les rôles ne sont pas
distribués, les acteurs devaient également composer un groupe cohérent. Il s’agissait à la fois d’avoir
des personnalités qui pouvaient composer une gamme assez étendue, et en même temps de constituer
un groupe dont la cohésion ne fasse pas de doute. L’audition s’est donc réalisée sous forme de stage,
par nécessité de constituer un ensemble et non pas de sélectionner des individus pour des rôles précis.
En cohérence avec notre démarche globale et parce qu’ils répondaient parfaitement aux critères cidessus
énoncés, certains comédiens de Roulez jeunesse ! font déjà partie de la compagnie, à d’autres
postes ou sur d’autres projets, et en constituent le socle.
Ce spectacle s’adressera à tous à partir de l’adolescence. Si nous serons ravis de le jouer en scolaire, avec un vrai travail de préparation en amont à chaque fois que c’est possible, nous souhaitons aussi le jouer en tout public, notamment devant des publics familiaux au sein desquels le spectacle créera peut-être le débat.
Je pense que monter cette pièce est juste pour nous, à l’endroit où nous en sommes à présent. Pas si éloignés de l’adolescence et pourtant déjà très investis dans des vies professionnelles mouvementées, nous comptons bien insuffler à ce spectacle notre enthousiasme, notre rythme et notre détermination.
Marie Normand
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