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Rosa la Rouge

mise en scène Marcial Di Fonzo Bo

: Entretien avec Claire Diterzi et Marcial Di Fonzo Bo

Claire : La première fois que j’ai vu Marcial, c’est dans la pièce Je crois que vous m’avez mal compris de Rodrigo Garcia, au Centre Dramatique de Tours. Je me suis tout simplement dit, littéralement scotchée au fond de mon fauteuil : « Mais, en fait, le théâtre c’est bien ! Et maintenant, j’ai un acteur préféré : une idole. Mon idole ! »


Marcial : La première fois que j’ai vu Diterzi, c’est à Chaillot, dans la pièce Iris de Decouflé. J’ai été immédiatement séduit par sa présence. Sa voix, sa poigne. Sa force de femme, féminine avant tout, son intelligence. Je pense que son talent est rare et unique.


Claire : Nous avons échangé des verres de vin, normal. Des disques, peu de mots, mais fatalement, inconsciemment, un désir croissant de travailler un jour ensemble...


Marcial : Quelque temps plus tard j’ai écouté la musique que Claire avait composée pour le cinéma Requiem for Billy the kid, et j’ai tout de suite pensé que son style, les images que cette musique dégageait, correspondait exactement au spectacle que je préparais, La Estupidez de Rafael Spregelburd. J’ai demandé à Claire de composer la musique pour cette pièce de théâtre.


Claire : Suite à cette collaboration, j’ai reçu un texto de Buenos Aires qui disait ceci « Et Rosa Luxemburg, elle t’inspire ? » J’ai, de prime abord, répondu que je ne trouvais pas Rosa Luxemburg très glamour... et que mon fond de commerce c’était plutôt les chansons d’amour, et pas vraiment la politique (tu m’étonnes ! va écrire des chansons sur le marxisme, le léninisme, le capitalisme, le prolétariat, le « spartakisme », l’antinationalisme, le bolchévisme, le communisme, etc... ça groove pas des masses non ? !!!!). Et puis la proposition a fait son chemin, doucement... J’ai passé tout l’été avec Rosa, 60 jours, avec sa vie, ses combats, ses amours, désamours, illusions, désillusions, sa mort, ses révoltes, son intégrité surdéveloppée, ses passions, son radicalisme foudroyant, sa bonté, la brutalité et la masculinité du monde dans lequel elle a brillamment vécu, survécu, péri, avec une sensibilité et une intelligence hors du commun...


Incarner par les temps cupides qui courent, l’authenticité d’un tel personnage (qui déplorait il y a 100 ans déjà de vivre dans une « ère de crétinisation »), à la personnalité complexe et extrême, sur scène, en musique, en images, en mouvement, est un honneur, une source d’inspiration incommensurable. Une prise de risque aussi, qui fermente une excitation sans fin. Ca déborde !!!


Marcial : Oui, je trouve très excitant de transposer l’esprit révolutionnaire de Rosa Luxemburg, dans le glamour et l’humanité de Claire, la douce rage de sa musique. Tirer un portrait salutaire, optimiste, et pourquoi pas drôle, inspiré par la force d’esprit et la conviction de cette femme, ses idées. Trouver les ponts avec la réalité d’aujourd’hui, la mollesse politique dans laquelle on se trouve, l’abandon total des utopies. Dans l’uniformité d’une époque banale, ou la bêtise prend le tout, il est bon de relire les écrits de Rosa, revisiter son parcours, sa vie, et transposer le tout avec imagination, car il ne s’agit aucunement d’un spectacle biographique ou didactique.


Claire : Je suis devenue en quelques mois, une « usine à sensations » de Rosa. Un « décodeur », une interface artistique, le « double, en voix » de cette femme qui me fascine par le sacrifice qu’elle fit de sa vie fulgurante. Rosa n’était ni une artiste, ni une artisane. Du moins, ce n’est pas la voie qui s’imposa à elle, la voie qu’elle choisit. Elle était partisante. Et bien plus que ça : créatrice de partis, d’idées, de théories, de soulèvements... Et c’est bien là que cet être humain somptueux nous submerge : comment traduire, artistiquement, la force de tempérament d’une telle femme, son optimisme, son opiniâtreté, sa lucidité... ?


Au travers de la musique et des images, de la mise en scène, on veut traduire la puissance des pensées et convictions de Rosa, la part imaginaire de son esprit. Lui inventer un mode d’expression qui lui soit propre, d’ordre artistique, abstrait, subliminal, poétique. Rosa ressentait le besoin permanent de se dépasser. Elle était à la fois propagandiste, militante clandestine, intellectuelle, journaliste, théoricienne, dirigeante politique. On veut faire d’elle l’artiste qu’elle n’a jamais été (elle peignait un peu cependant, pour son plaisir), l’artiste qu’elle n’a jamais eu l’idée de devenir, exacerber ses émotions profondes et intimes par le biais de la voix chantée, chuchotée, criée, sifflée, sublimer sa sensibilité hors du commun, révéler sa sensualité (rappelons qu’elle était moche, petite et boiteuse, mais très charismatique et courtisée), lui apporter toute la fantaisie et l’excentricité qu’elle n’a jamais côtoyées dans le monde brutal, viril et macho de la politique. Lui donner la liberté. Là où elle était censurée, traquée, emprisonnée, bâillonnée, persécutée, en danger permanent, on lui invente un langage universel, infini... Lui permettre de dire du beau, du profond, sans se planquer. On veut du jus de Rosa, un concentré de la complexité de sa personnalité bafouée, l’essence de son admirable combat, un parfum aux arômes extrêmes. La vie, la mort. La passion. L’émotion.


Marcial : Claire a commencé à écrire la musique, et ensemble, nous travaillons à l’écriture du spectacle. Nous avons demandé à Patrick Volve, de réaliser les images en vidéo. Et à Leslie Kaplan de nous conseiller à travers les écrits de Rosa Luxemburg.
Il y aura sur scène les musiciens qui accompagnent d’habitude les concerts de Diterzi et aussi des nouveaux, donc la musique en live, mais le dispositif de projection des images sera très présent. Ces images mélangeront beaucoup de styles et sources. On pourra passer des images d’archives aux paysages les plus abstraits, d’un portrait réaliste de Rosa, aux rêves les plus sophistiqués. Ce sera, du coup, un vrai partenaire de scène pour la musique qui pourrait aller jusqu’à l’interaction des voix. Rosa chantant sur scène, par exemple, avec le choeur de l’armée Rouge en images projetées…
Ces images pourront nous aider à traduire le contraste et la confrontation permanente entre la dimension humaine, sensible, féminine, intellectuelle de Rosa, et la brutalité du contexte historique dans lequel elle a vécu et elle est morte.
On s’appuie bien sûr, sur ses écrits, car Rosa Luxembourg a beaucoup écrit : manifestes, lettres, et aussi sur les témoignages des intellectuels et autres partenaires de sa vie politique et intime.

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