Avec ce nouveau projet de création, nous poursuivons le compagnonnage qui nous lie à l’auteur Filip Forgeau, toujours en lien étroit avec la spécificité de la compagnie qui est de travailler avec des comédiens en situation de handicap. La commande d’écriture qui lui est confiée est axée sur la particularité de ces comédiens, qu’il connaît, avec, en trame de fond, une thématique d’écriture qui se dégagera autour de l’amour impossible, d’un Roméo et Juliette contemporain. Sur le plateau, il s’agira de travailler sur un va-et-vient de vies « parallèles », celle du personnage et celle de l’acteur en tant qu’homme, les deux étant en confrontation permanente sur scène. Le fait que ces personnages soient portés par des comédiens handicapés n’est pas anodin, nous souhaitons en effet poursuivre notre réflexion (et l’amener vers le public) autour de « comment appréhender la présence d’une personne handicapée sur scène ? », « Est-ce un comédien ou une personne handicapée ? ». Quel est ce fameux va-et-vient ?... où se situe le rapport JEU / JE ?

De Shakespeare à Novarina en passant par Pirandello, de tout temps les auteurs de Théâtre ont flirté avec cet étrange état qu'est le passage de l'acteur au personnage. Comment l'acteur habite le personnage ?, ou plutôt comment le personnage vient s'immiscer dans le corps, la pensée de l'acteur ? Filip Forgeau dans « Celui Qui...Clin d'oeil à Samuel B. » : (P° 54 Zeff : Quand le comédien est sur scène, il est où le personnage ? Est ce qu'il est sur scène avec le comédien?) L'art d'enseigner le Théâtre est dans cette recherche.

« Moi, l'acteur, l'actrice... serais-je le vide grenier de mon histoire personnelle ? De mes histoires intimes ? D'une mémoire universelle ?
Serais-je le révélateur de la fiction ? De ma fiction ? De la fiction de l'autre ?
Cet autre qui est en moi ? Loin de moi ? Si loin, si proche, de moi ?
Qui se joue de moi comme je me joue de lui ?
Et la vérité dans tout ça ? Ce ne serait qu'un rêve, la vérité ?
Et de ce rêve, il reste des mots dans ma bouche... des mots sur le bout de ma langue... et plein d'autres qui ne sortent pas et qui restent tout au fond du reste de mon corps... »
(Filip Forgeau)

Il y a l’envie de travailler avec un jeune comédien, Théo Kermel que j’ai rencontré (et distribué) au moment de la création de « Celui qui… Clin d’oeil à Samuel B. ». C’est un jeune homme trisomique qui porte un réel regard sur lui même, sur sa trisomie 21. Ces personnes reçoivent des regards interrogatifs de la part des autres. Peu de personnes handicapées mentales peuvent accéder à ce questionnement. Ils ont tendance à écarter cette problématique en ne croyant que le seul handicap est physique et non mental. Ma confrontation en tant que spectateur face à « Disabled Théater » de Jérôme Bel, n’a fait qu’alimenter cette réflexion qui prend part au processus de création de beaucoup de mes spectacles, autour du regard de l’autre, de la distanciation, sur le parallèle qui peut-être fait entre le personnage, l’histoire et le comédien différent qui les porte… J'ai tout de suite pensé que Théo pouvait porter sur scène toute son humanité en parlant de sa vision de la vie tout en respectant une part de fiction qui pour moi est fondamentale. Je n'ai pas envie de détruire les codes du théâtre. Il y aura donc écriture, à partir de lui, mais à travers une histoire, un personnage. Je travaille avec des comédiens handicapés depuis 1981, après avoir vu un spectacle monté par Vladisnas Snorko avec la Cie de « L'oiseau Mouche ». Depuis les médias, des metteurs en scènes, le public me posent cette question autour de de « l’intérêt » de faire travailler ces acteurs. Il y a plusieurs raisons, mais la principale est sur leur présence. Un comédien « différent » traversant une scène nous pose la question de la « Présence ». Présence hors-jeu et présence de jeu. Elle est souvent la même.

Philippe Flahaut