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Roi Lear

mise en scène Rodrigo García

: Rencontre de Rodrigo Garcia et Pauline Sales

VOUS TRAVAILLEZ TRES REGULIEREMENT EN FRANCE DEPUIS QUELQUES ANNEES, COMMENT VOUS SENTEZ VOUS DANS CE PAYS ?


La différence a surtout lieu au niveau de la production. En Espagne je dois me battre pour trouver de l’argent, je ne suis pas du tout aidé par l’Etat. On me dit que je fais un théâtre trop particulier, qui ne s’adresse pas à tous, ce qui est faux. Je suis obligé de jouer dans de petits lieux, il y a toujours de longues files de spectateurs et tous ne peuvent pas rentrer. J’ai vraiment un public de fidèles qui me suit depuis mes débuts, surtout à Madrid. C’est très important pour moi de jouer dans cette ville. J’en ai besoin. C’est mon public.
En France, je n’ai pas de problèmes d’argent et les théâtres sont très bien équipés, les conditions de travail sont luxueuses. Par moments, j’ai simplement la sensation d’être face à un monstre de la culture. C’est comme un grand supermarché prêt à vous consommer et aujourd’hui ils aiment beaucoup le Garcia mais je ne suis pas dupe, dans un an ou deux ils peuvent s’en lasser. Ca ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai bientôt quarante ans et j’ai écrit quinze pièces. Si ça doit s’arrêter, ça ne m’empêchera pas de dormir.


C’EST LA PREMIERE FOIS QUE VOUS DIRIGEZ DES COMEDIENS FRANÇAIS, EST-CE QU’IL Y A UNE DIFFERENCE DANS VOTRE APPROCHE, EST-CE QUE VOUS ETES SURPRIS PAR CERTAINES DE LEURS REACTIONS ?


J’ai déjà travaillé avec des acteurs français pendant des workshop. On peut penser que là, avec Lear, c’est très différent parce que c’est pour une production mais ce n’est pas le cas, je travaille de la même façon. Et puis, on ne peut pas généraliser « les comédiens espagnols » et « les comédiens français ». Il y a 95% des comédiens espagnols avec lesquels je ne pourrai pas travailler et qui d’ailleurs ne le souhaiteraient pas. Il faut constituer une équipe. Je ne cherche pas à travailler avec des interprètes exceptionnels. Je veux rencontrer des êtres humains, des personnes, savoir ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas, ce avec quoi ils sont d’accord ou pas.


LE BARRAGE DE LA LANGUE EST TRES PESANT OU CELA PERMET-IL UNE AUTRE MANIERE DE RENTRER EN CONTACT ?


Ca ne me gêne pas dans le rapport que j’ai avec eux. Il y a des choses qui passent directement par le corps, je fais un travail très physique. En revanche je ne peux pas véritablement me rendre compte de la manière dont ils énoncent le texte. C’est là que le travail avec les deux interprètes prend toute sa valeur. Nous essayons d’être vigilants ensemble sur comment le texte est dit.


AU PLATEAU, VOUS SEPAREZ L’ACTION PHYSIQUE ET LE TEXTE. C’EST UNE EVIDENCE POUR VOUS ?


Je trouve ça toujours très artificiel un texte dit sur un plateau. Quoiqu’on fasse ce sera toujours un texte qu’un acteur aura appris par cœur, et une action, une action qu’il aura répétée. Les deux ensemble c’est encore pire, encore plus artificiel. C’est pour ça que je scinde les deux. Je souhaite que le texte soit dit de la manière la plus naturelle possible. Et les actions ne doivent pas du tout être illustratives par rapport au texte. C’est comme si j’avais lu la pièce une seule fois et puis refermée et posée. J’improvise des actions autour de manière intuitive, instinctive, pour créer un univers complet avec le texte.


POURQUOI AVEZ-VOUS SOUHAITE REECRIRE UNE NOUVELLE VERSION DE VOTRE PIECE LEAR ?


Ma façon de réécrire est de couper beaucoup et d’éclaircir. Je fais ce spectacle du 13 au 18 mai 2003 à Valence. C’est concret, je travaille pour ce moment là. Je ne me prends pas pour un artiste. Si je considérais que j’étais un artiste je ne pourrai pas retoucher à mon texte parce que ce serait une oeuvre d’art. J’écris en tant que citoyen. J’ai écrit cette pièce il y a six ans et il y a des choses qui ne correspondent plus à ce que je vois ou à ce que j’ai envie de dire en tant que citoyen.


QUAND VOUS AVEZ COMMENCE A ECRIRE LA PREMIERE VERSION A MADRID, LA GUERRE SERBO-CROATE FAISAIT RAGE. AUJOURD’HUI UNE NOUVELLE GUERRE, UN NOUVEAU MATERIAU ?


Oui et déjà je ne voulais pas faire d’allusion directe à la guerre en Bosnie et aujourd’hui avec la guerre en Irak c’est la même chose. J’utilise la métaphore des gravures de Goya. Je parle juste d’un nouvel ordre du monde.


VOS SPECTACLES SUSCITENT BEAUCOUP DE REACTIONS DIVERSES. VOUS PRENEZ DU PLAISIR DANS LA PROVOCATION ?


Je ne fais pas de la provocation. Pour moi un corps nu est plus naturel qu’un corps habillé. Je parle de ce que les gens n’ont pas envie d’entendre mais qui existe, de pédophilie, du fait que 10% des habitants de la planète vivent bien alors que les autres galèrent . Pour moi ce sont les gens qui refusent de parler de ce qui fait mal qui sont provocants. Non, je ne pense pas être dans la provocation. Je pense avoir un style, voilà tout.


DANS LES THEATRES VOUS TOUCHEZ LE PUBLIC QUE VOUS VOULEZ ?


En Espagne les gens connaissent mon travail et se déplacent pour le voir. En France, le système des abonnements permet à un public innocent de découvrir mes pièces. Ils ne savent pas du tout ce qu’ils vont voir et c’est forcément intéressant de les confronter à mon univers. Ca touche également un public de jeunes qui a suivi plus ou moins la rumeur un peu sulfureuse autour des spectacles et qui vient dans l’espoir d’assister à quelque chose de provocant. Pendant la représentation, ils entendent autre chose parce que mes pièces ont aussi un sens et une philosophie et ils repartent avec un contenu.


IL Y A DES RECURRENCES EVIDENTES DANS VOTRE ECRITURE, LES ENUMERATIONS, LES MONOLOGUES AVEC DES RETOURS INCESSANTS A LA LIGNE, DES REPETITIONS QUI DECLENCHENT ENORMEMENT D’ENERGIE ET DE HARGNE, VOUS ECRIVEZ D’UN JET OU VOUS RETRAVAILLEZ PAR COUCHES ?


J’écris dans l’énergie de la pièce que je suis en train d’écrire. Je ne peux pas écrire de dialogues, enfin j’ai déjà essayé dans une de mes pièces, mais ça ne m’intéresse pas. Mes personnages sont toujours solitaires, ce sont des solitudes qui se croisent. Je ne crois pas aux dialogues. Ca me fait penser au théâtre occidental. Dans le théâtre de l’absurde les personnages dialoguent sans se comprendre, je trouve ça enfantin.


VOUS DENONCEZ TRES FREQUEMMENT LES ARTISTES DANS VOS PIECES, ILS VOUS FATIGUENT?


Tous les arts ont beaucoup évolué. Que ce soit les arts plastiques, la danse contemporaine mais le théâtre est resté fermé sur lui-même et ce que j’essaye de dire lorsque j’attaque les artistes c’est qu’il y a une multitude de nouvelles formes théâtrales à trouver et à découvrir.


DANS PLUSIEURS DE VOS PIECES ET NOTAMMENT DANS LEAR, LES FEMMES DEMANDENT BEAUCOUP AUX HOMMES ET NE SONT JAMAIS SATISFAITES. LES FEMMES NE SERONT JAMAIS COMBLEES PAR LES HOMMES ?


Non. Bien sûr. J’aime beaucoup me moquer des hommes sur scène. Je suis toujours très à l’aise quand je me moque d’eux.


LA FIN DE LEAR, QUI VA PEUT-ETRE CHANGER D’AILLEURS, EST TRES SURPRENANTE , APRES UN MONOLOGUE D’UNE EXTREME VIOLENCE, VOUS FINISSEZ PAR LEAR ET CORDELIA APAISES, C’EST UNE PROFESSION DE FOI ? CE QU’IL FAUDRAIT PARVENIR A ATTEINDRE, UN IDEAL ?


Non je garderai cette fin. C’est une pièce tellement dure, tellement horrible qui ne parle que de guerre, d’argent, c’est important qu’elle se finisse bien. Et oui, tout à fait, c’est une manière de vivre. Même si la vie est une grosse merde, il faut le savoir, mais vivre en continuant de croire que des choses magnifiques peuvent nous arriver.


Extrait de propos recueillis par Pauline Sales, auteur associé à la Comédie de Valence le 3 avril 2003, avec le concours de Alicia Roda, interprète

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