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Roberto Zucco

mise en scène Richard Brunel

: Entretien avec R. Brunel par J.-F. Perrier

Interview menée par Jean-François Perrier le 26 février 2015, pour la Comédie de Clermont.

Roberto Zucco, oeuvre majeure de Bernard-Marie Koltès est-elle une étape indispensable, une référence dans le parcours d’un metteur en scène ?


Richard Brunel : Indispensable je ne sais pas, disons essentielle. Une étape que j’aborde en étant intimidé car le premier spectacle que nous avons produit quand je suis devenu directeur de la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche, était La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Patrice Chéreau avec Romain Duris. Ils sont venus répéter à Valence et j’ai donc vu Chéreau, la référence absolue en ce qui concerne Koltès, travailler sur un texte de cet auteur, insistant sur la précision de cette langue dramatique, ses images, ses mouvements, sur la nécessité d’être toujours au présent sans anticiper ce qui allait advenir.



Vous aviez déjà fait un premier travail autour de cette oeuvre en Russie…


R. B. : Oui, quand l’Institut français m’a proposé de faire un workshop sur Quai ouest au Théâtre dramatique de Pskov. J’ai proposé Roberto Zucco. C’est une pièce polysémique d’une telle richesse de jeu, d’énigmes, de construction, avec un rythme infernal dû au séquençage imaginé par l’auteur. J’ai été séduit et passionné. J’ai donc voulu également monter la pièce en France, dans sa langue originale et avec des comédiens français.



La présence possible de Pio Marmaï à vos côtés a-t-elle participé à ce choix ?


R. B. : Certainement, puisqu’il a manifesté le très fort désir de jouer le rôle quand il a su que j’avais cette intention, proposant de prendre un vrai temps, de mettre momentanément entre parenthèses sa carrière au cinéma pour revenir au théâtre qui est son milieu d’origine, puisqu’il a été élève à l’École de La Comédie de Saint-Étienne avant de faire un passage rapide par la Comédie-Française. Il y a des pièces que l’on ne peut mettre en scène que si l’on trouve l’acteur « idéal » pour la jouer. Il y a alors une sorte d’évidence puisque l’adéquation de plusieurs désirs autour d’un même texte est un facteur favorable. Je voulais aussi sans doute m’affranchir du poids des aînés et des maîtres. Je me suis dit qu’il fallait dépasser ces craintes et se mettre au travail. Antonio Gramsci écrit : « Quand les vieux ne veulent pas mourir, les jeunes hésitent à naître ». C’est vrai en politique et parfois dans le monde du théâtre, pas seulement par la volonté des « anciens » mais aussi par une peur des jeunes générations d’affronter des domaines que l’on croit réservés. Cette pièce est tellement riche que l’on peut privilégier plusieurs axes de recherches quand on la met en scène.



Quelle est votre vision personnelle de Roberto Zucco ?


R. B. : Même s’il est évident que le titre de la pièce privilégie le personnage principal, je suis convaincu que c’est le duo Zucco-La Gamine qui est au coeur de la pièce. Ce couple de jeunes gens traverse toute la pièce et leur chute finale, même différente, les unit encore plus. Bien sûr le seul à avoir un prénom et un nom patronymique, c’est Roberto, tous les autres sont des archétypes ou des représentants de statuts sociaux ou familiaux. Mais ils sont indispensables pour la construction du personnage principal puisqu’ils sont à l’origine de toutes les étapes de la tragédie. En y regardant de très près comme j’ai pu le faire en Russie, on s’aperçoit qu’entre la première scène de l’évasion et la dernière scène de la chute, il y a presque toujours une alternance entre scène avec Zucco et scène avec La Gamine.



La pièce n’est pas construite dans une logique de temps ou d’espace. Qu’est-ce que cela implique pour vous ?


R. B. : Elle est en effet d’une grande complexité. Dans un premier temps on peut avoir la tentation de la mettre en scène séquence après séquence, avant de faire le choix de la globalité, c’est-à-dire de faire une lecture analytique avant de passer au synthétique. Après des tentatives diverses, avec ma scénographe, nous avons choisi de créer un lieu unique dans lequel on peut raconter le parcours de Zucco dans un labyrinthe, dans un dédale de couloirs qu’il emprunte seul ou avec La Gamine. Chaque scène requiert des éléments scéniques particuliers et, en même temps, il faut faire en sorte qu’il y ait concomitance entre les scènes, qu’elles puissent se croiser ou se superposer. Par la synthèse, on peut rendre plus ludique et plus mentale ce parcours de Zucco tout en gardant une forme de segmentation.


Est-ce pour la même raison d’unité et de superposition que vous faites jouer deux rôles à certains acteurs ?


R. B. : En effet les acteurs, exceptés Zucco et La Gamine, joueront plusieurs rôles. Comme si Zucco revoyait dans ses rencontres diverses des visages de sa propre famille. On peut ainsi imaginer que le vieux monsieur dans le métro lui évoque son père.



Qu’avez-vous envie de faire entendre de cette pièce ?


R. B. : Le mystère du déraillement de Zucco… On ne sait pas pourquoi il prend à plusieurs reprises le chemin de la mort. C’est une interrogation permanente sur les causes de ses pulsions mortifères mais aussi sur cette course effrénée vers sa propre mort.



Que représente le personnage de Zucco pour vous ?


R. B. : Je ne veux en faire ni un martyr ni un héros. Il faut faire entendre la violence qu’il opère sur le monde, qui le mène vers la destruction. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas raconter seulement le parcours de Zucco, mais le parcours du couple qu’il forme avec La Gamine jusqu’à la scène finale où elle sera entraînée dans la chute de son amant. De la même façon je veux vraiment mettre en scène la famille, les familles, en choisissant de les installer dans un monde « méditerranéen » où les valeurs de virginité, de pureté sont très présentes. Il ne faut donc pas isoler Zucco mais le considérer comme un révélateur. Partout où il passe il transforme, il révèle, il détruit. C’est une pièce où tout se dit, se formule assez directement, d’une façon immédiatement compréhensible et cependant derrière les mots, il reste en permanence un mystère. On comprend tout mais tout reste mystérieux. C’est paradoxale. Il ne faut pas tenter de résoudre les mystères mais faire entendre les brèches par lesquelles le public peut pénétrer ce dédale.



Bernard-Marie Koltès parle souvent de son rapport plein d’admiration à Shakespeare…


R. B. : La première scène de Zucco est une référence directe à Hamlet. Les gardiens de prison « croient » voir Zucco mais ils n’en sont pas sûrs, comme les soldats qui croisent le fantôme du roi dans Hamlet. C’est la thématique du visible et de l’invisible qui traverse toute la pièce. La mère ne veut plus voir son fils, Zucco voudrait être invisible… Cette pièce est un grand poème dramatique et il est difficile en en parlant de ne pas penser à Shakespeare. Zucco a une dimension poétique étonnante, qui parle et rêve en même temps. Même les choses les plus triviales qui sont énoncées ouvrent la porte de l’imaginaire du spectateur. Presque derrière chaque mot il y a un mystère… Comme pour mettre en scène Shakespeare, il faut rester très humble face à Koltès, il est inutile de faire le malin.



Roberto Zucco est la dernière pièce écrite par Bernard- Marie Koltès. La voyez-vous comme une sorte de testament littéraire ?


R. B. : Il y a une grande différence de style dans cette pièce en comparaison avec celles qui la précèdent. Si on lit La Nuit juste avant les forêts, son quasi premier texte dramatique, on perçoit des allusions très claires à l’époque dans laquelle elle est inscrite, on reconnaît les lieux de ce parcours nocturne. Avec Roberto Zucco on est dans une écriture totalement ouverte, polysémique, qui traverse le temps sans aucune référence au moment où elle se déroule. C’est aussi une pièce très dialoguée par rapport à celles construites autour de monologues. Koltès savait bien sûr que c’était sa dernière oeuvre, d’ailleurs une scène se nomme « Juste avant de mourir». C’est peut-être pour cela qu’on y perçoit une liberté absolue.



Interview menée par Jean-François Perrier le 26 février 2015, pour la Comédie de Clermont.


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