J’ai découvert le dramaturge britannique Howard Barker en voyant dans les années 90 le très beau spectacle mis en scène par Solange Oswald Tableaux d’une exécution. En 2002, j’ai mis en scène Brutopia au Nouveau Théâtre de Besançon. Howard Barker est venu voir le spectacle. Heureux de ce qu’il a vu, une amitié et un compagnonnage sont nés entre nous.
En 2004, je l’ai invité à mettre en scène en France une de ses pièces Animaux en paradis.
La création a eu lieu à Rouen au Théâtre des deux rives avec une distribution francobritannique.
À l’automne 2006, je suis allé mettre en scène à Londres The seduction of an almighty god, une de ses toutes dernières pièces. Elle a été jouée par des comédiens français et anglais. Il en a réalisé la scénographie. Nous sommes allé ensuite, ensemble, diriger un stage à Toulouse à destination de comédiens professionnels. Notre relation est faite d’échanges et de combats communs. De discussions nombreuses. De passions partagées.
J’aime cet écrivain. Son écriture est troublante pour nos sociétés. Il n’est pas réaliste, il n’essaie pas de transmettre un message politique, il n’a pas de solution morale à nous proposer. Il tente «simplement» d’écrire des tragédies. Des histoires d’amour, de vie et de mort. Ses situations se déroulent dans l’Histoire, la France de 1789, l’Italie de 1572, la Grèce antique. Jamais dans l’Angleterre de son époque. En cela, il est le descendant des plus grands écrivains de théâtre. Comme par exemple, Shakespeare qui plaçait ses pièces en Italie, en Ecosse, au Danemark. Des dizaines voire des centaines d’années avant sa naissance. Shakespeare n’était jamais dans l’actualité de son époque. Et pourtant quand on veut comprendre l’Homme du 16e siècle, lire Le Roi Lear, Hamlet ou Richard II est essentiel. J’ai ce même sentiment avec l’écriture d’Howard Barker. Il me permet de mieux aborder les changements fondamentaux qu’ont à vivre les humains en ce début de 21e siècle : la fin d’une forme d’Humanisme, le recours systématique à la dérision, l’éloignement de l’idée de mort…
Ces questions sont abordées par des philosophes, des historiens, des sociologues.
Rarement par des hommes de théâtre. Et les réponses qu’Howard Barker propose sont difficiles à entendre, à comprendre. Elles dépassent notre entendement. Ses personnages défendent une conception du impensable. Et le défendent jusqu’au bout de la vie, en tuant, blessant ceux qui veulent les en empêcher. Ces personnages sont à la limite du supportable. Si l’acte théâtral a toujours une fonction dans nos sociétés, c’est celle de nous étonner, de nous étonner si fort qu’il modifie un tant soit peu notre manière de regarder le monde, notre manière de vivre le monde.
Les pièces d’Howard Barker remplissent pleinement cette fonction.

Guillaume Dujardin