Dans Les guerres du Péloponnèse, Thucydide nous livre le célèbre récit de la désastreuse expédition de Syracuse. Dans ce récit, les nouvelles de la déroute arrivent avec parcimonie à Athènes, lorsqu’un client en parle négligemment chez un barbier, sans savoir qu’il est le premier à l’annoncer. Dans le récit de Thucydide, le barbier court prévenir les autorités qui, refusant de le croire, le soumettent à la torture…
Howard Barker s’est inspiré de cette histoire pour écrire sa pièce Révélations où l’on voit un spécialiste ès mauvaises nouvelles qui se fait un malin plaisir de pousser les autres au désespoir et d’en observer les effets, aux prises avec la pire nouvelle à annoncer. Arrivant dans une ville qui ignore encore tout de la défaite, il se rend chez un barbier et s’apprête à commencer son récit, lorsque l’idée lui vient d’user de son pouvoir d’une manière nouvelle et radicale : pressentant que le barbier a un fils engagé dans cette armée massacrée, il pousse la cruauté jusqu’à suggérer au barbier d’imaginer, étape par étape, la bataille. À son grand étonnement, le barbier invente le déroulement exact de la destruction des forces navales et terrestres, allant jusqu’à donner des détails sur les circonstances de la mort de son propre fils. La trame de cette pièce est formée par les intenses tourments psychologiques auxquels le barbier est soumis, les manières de les attiser… et aussi la prise de conscience par l’Homme aux mauvaises nouvelles qu’il est lui-même parvenu au terme de son existence. Le barbier détruit systématiquement son échoppe, préfigurant ainsi la destruction prochaine de la ville par les ennemis qui contrôlent maintenant les mers et qui vont, selon toute vraisemblance, envahir et réduire en esclavage le barbier et son pays. Vers la fin de la pièce, l’Homme aux mauvaises nouvelles entend la panique qui s’empare de la population car, en retard sur lui de quelques heures, d’autres sont arrivés au port et ont donné l’alerte. Le barbier décide de rester debout et d’affronter son destin. Quant à l’Homme aux mauvaises nouvelles, d’ordinaire si prompt à disparaître, il se trouve incapable de bouger, piégé par la portée de son acte…