theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Remote Avignon »

Remote Avignon

+ d'infos sur le texte de Stefan Kaegi

: Entretien avec Stefan Kaegi

Propos recueillis et traduits par Marion Siéfert

Stefan Kaegi, vous présentez aussi au Festival d’Avignon Remote Avignon. Quelle est la signification du titre de ce projet?


S.K. : Remote signifie télécommande, téléguidage. Dans le titre, apparaît également l’idée que nous prenons une certaine distance vis-à-vis du lieu où nous nous trouvons, en l’occurrence, ici, Avignon. Nous sommes dans une sorte de capsule acoustique où l’on peut aller à la fois dans le futur, mais aussi dans le passé de ce lieu. En même temps, nous nous trouvons entourés de gens et sommes amenés à former une sorte de communauté. Car ce que je propose à cinquante spectateurs à travers Remote Avignon, c’est de chausser un casque audio et de se laisser guider par une voix artificielle, à travers les rues d’Avignon, pour une promenade à l’écart des circuits touristiques.


Depuis l’un de vos premiers projets (Kreuzworträtsel Boxenstopp en 2000), le lieu de représentation est un élément fondamental de votre processus de création. Comment appréhendez-vous la ville d’Avignon pendant cette période extraordinaire du Festival?


S.K. : Je pense que je connais maintenant très bien cette ville pour y avoir présenté plusieurs spectacles. Avec les routiers de Cargo Sofia, j’ai notamment pu explorer les alentours et j’ai développé une sensibilité pour les contrastes qui caractérisent Avignon : intra-muros et extra-muros, centre historique et zones conflictuelles des banlieues. D’une certaine manière, Remote Avignon est une façon d’aller sur les traces de ma découverte de cette ville. L’angle d’attaque que j’ai choisi est proche de la science-fiction. Je ne raconte pas l’histoire des lieux historiques, mais je raconte leur potentiel, la façon dont ils s’adaptent à la foule. C’est une question que nous devons nous poser, deux ans après l’apparition du mouvement Occupy : que se passe-til au juste lorsque l’espace public est occupé par une horde de personnes? Quelles potentialités nouvelles apparaissent lorsque l’on arpente une ville, un casque sur les oreilles? Cette histoire de l’intimité dans les lieux publics me passionne : cela a commencé avec le walkman, a continué avec le téléphone portable et le MP3 et se poursuivra avec d’autres inventions. Il a fallu du temps pour que la société accepte que certaines personnes se comportent en public de manière asociale.


Dans Remote Avignon, il me semble, au contraire, que vous cherchez à libérer le regard des participants. Quelles sont les vertus de l’observation, selon vous?


S.K. : En général, les gens utilisent un walkman de manière complètement décontextualisée, pour s’évader, se soustraire à l’environnement qui les entoure. Pour Remote Avignon, notre approche est tout à fait différente : tout ce que l’on entend dans le casque se rapporte au lieu. Les sons que l’on entend en stéréo ont été enregistrés dans l’espace dans lequel les spectateurs déambulent. Si l’on regarde l’histoire du walkman, on remarque que ces formes d’asociabilité dans l’espace public ont déclenché un contre-mouvement. Les Indignés, par exemple, ont commencé à occuper une place afin de se l’approprier, de créer un espace de réflexion et de débats. J’essaie donc, de mon côté, de reproduire ces stratégies d’occupation de l’espace public, avec l’aide d’écouteurs.


Les questions suggérées par la voix automatique sont éminemment politiques. Y a-t-il un potentiel subversif qui réside dans ce noyau de cinquante personnes déambulant en même temps dans la ville?


S.K. : La question du politique est toujours très délicate. Bien sûr, le processus est politique, puisque plusieurs dizaines de personnes sont rassemblées pour la déambulation. Je crois que, dans Remote Avignon, la question de la politique se pose de l’extérieur. Lorsque cinquante personnes évoluent en groupe dans l’espace public, on pense tout de suite qu’ils sont en train d’effectuer une action politique. Les questions adressées aux participants sont plutôt des réflexions méta-politiques, qui ne se rapportent à aucun thème précis.


Que voulez-vous dire, lorsque vous dites «vouloir séduire les participants»?


S.K. : Avec Rimini Protokoll, nous opérons une distinction de méthode entre la séduction et la provocation. Dans les années 80 et 90, de nombreuses mises en scène ont instauré un rapport extrêmement frontal avec le public qu’il s’agissait de choquer, soit dans sa perception, en l’ennuyant, soit en le brutalisant afin de le «réveiller». Dans notre travail, nous ne cherchons pas la confrontation, mais nous développons des formes complexes, qui restent, cependant, suffisamment simples pour que les spectateurs se sentent entraînés. Nous utilisons des stratégies de manipulation : nous usons de gestes et de signes qui invitent le public à nous suivre.


Dans Remote Avignon, c’est la question du contrôle qu’exercent les technologies quotidiennes sur nos vies ainsi que celle du désir qui se pose («Do you find me attractive?», nous demande Lucy, la voix artificielle de Remote Avignon)…


S.K. : Dans notre vie quotidienne, nous déléguons de plus en plus de décisions à nos ordinateurs. Ils stockent des informations pour nous, nous rappellent nos rendez-vous, sélectionnent les éléments qui pourraient nous intéresser. Ce sont nos assistants techniques. Ils nous rendent rapides, adaptables, mais ils nous handicapent également car ce ne n’est pas vraiment nous qui prenons les décisions. À cela, s’ajoute la question de la relation affective à son propre ordinateur et à la technologie en général. Donnez-vous un nom à votre ordinateur? L’insultez-vous lorsqu’il ne fonctionne pas? Déchargez-vous votre agressivité sur lui? C’est une forme très particulière de relation, à travers laquelle on se projette totalement dans l’objet. Dans les systèmes de navigation par GPS par exemple, il n’est pas inintéressant de regarder si les hommes préfèrent être guidés par une voix masculine ou féminine…


Dans Remote Avignon, la ville devient scène de théâtre. Quel est alors le lieu du théâtre dans ce projet?


S.K. : L’espace théâtral devient un lieu imprévisible. Le texte que vous entendez dans les écouteurs est déjà fixé, mais la situation théâtrale est, pour chaque participant au projet, profondément différente, suivant qu’il réalise le parcours le matin ou en soirée, que le trafic automobile est dense ou qu’une rue est bloquée par une troupe de théâtre. La voix artificielle se demande sans cesse comment elle peut prévoir l’imprévisible. Pour nous, ce projet se situe dans un espace de jeu et de communication. Le théâtre est toujours un jeu, dont les règles peuvent être multiples. Je pense que les personnes qui ont grandi avec les nouvelles technologies sont beaucoup plus joyeuses car elles sont en interaction constante avec d’autres individus. Il est important de comprendre que le théâtre n’établit pas la forme de communication unilatérale qu’entretient la télévision, où l’un émet et l’autre reçoit, où les deux agents de la communication sont très éloignés l’un de l’autre. Le théâtre ne doit jamais ignorer la présence physique et concrète des spectateurs.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.