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: Variation Peyret sur la cabane de Thoreau

Le « matériau Thoreau », matériau littéraire du projet sera tiré de Walden, or Life in the Woods, roman-essai de Henry David Thoreau écrit en 1854 après une retraite de deux ans dans une cabane au bord de l'étang de Walden (Massachusets) relativement à l'écart de ses concitoyens. La pensée du philosophe, récupérée par les écologistes, revient aujourd'hui sur le devant de la scène. Il convient cependant de ne pas se méprendre : Thoreau n'était pas l'écologiste forcené que certains ont cru (à tort) déceler dans ses écrits. Son attitude n'en était pas moins ambigüe. La forêt de Walden, qui lui permit de prendre de la distance afin de dénoncer l'aliénation et le conformisme de ses concitoyens, était surtout le prétexte à une solitude qui le tentait de plus en plus, car il n'était pas reconnu en tant qu'écrivain dans la société américaine. Cette vie – plus ou moins – à l'écart de la civilisation fut pour Thoreau l'occasion d'une réflexion sur la technique et sa place grandissante dans la vie « moderne ». Plus proche du questionnement que de la remise en cause, Walden nous présente une réflexion en constant mouvement, dont la complexité nourrit l'intérêt de Jean-François Peyret qui y décela le matériau de possibles excursions dramaturgiques. En tant qu'objet littéraire instable, Walden n'est pas une oeuvre dont on peut fixer la lecture mais une pensée mouvante capable de provoquer des ébranlements de la sensibilité et de l'imagination. Le choix singulier du metteur en scène est de travailler à partir de ce matériau et de jouer de cette inconstance.


Par ailleurs, l’ « exotisme » de la langue est source de « ludicité » pour Jean-François Peyret qui, travaillant depuis de nombreuses années sur les sciences et les techniques, est rompu à l'art de manipuler la langue anglo-américaine, dans laquelle sont rédigés la plupart des travaux scientifiques. En lui-même distance, le théâtre est le lieu qui peut accueillir cette langue en opérant un va-et-vient linguistique et générique, de l'écrit américain à la scène française. Avant tout littérature et non réflexion sur la science, Walden met pourtant ses lecteurs dans l'embarras, à l'image d'une attraction répulsive ou d'une répulsion attractive. Exigeant une lecture profonde, la dimension hybride de ce texte constitue une invitation à inventer la relation entre ces deux éléments et à lui donner forme, pourquoi pas sur un plateau de théâtre. La question du metteur en scène est alors la suivante : que reste-t-il aujourd'hui de ce roman du dix-neuvième siècle – périphrase pléonastique –, de cet objet littéraire non identifié ? Et que peut en faire un comédien à l’ère du digital ?


Suivant l'exemple de Thoreau, interrogeons-nous à notre tour à travers le prisme de la cabane. La vie dans les bois peut s'avérer être – de manière paradoxale, on le concède – un bon observatoire pour interroger le rapport de l'homme à la technique et, partant, le comédien soumis à divers procédés technologiques. Jean-François Peyret aura donc lui aussi sa cabane, installation théâtrale numérique qui, semblable à la cabane « véritable » de Thoreau, sera sa machine à écrire, métaphore qu’il se plaît à usiter. Ce travail d’écriture se fera en correspondance avec celui de l'architecte Jean Nouvel qui, s'emparant du texte à sa manière, réinvente la cabane de Thoreau à travers des installations courant de Gennevilliers à Tanger. Ce nouveau « matériau Thoreau », filmé par Pierre Nouvel, complètera les images de la forêt de Walden présentées sur le plateau. La cabane-machine ainsi agencée interrogera l'expérience littéraire du dix-neuvième siècle à partir de la révolution digitale actuelle et de ce qu'elle impose à nos cerveaux. Tout comme l’expérience de Thoreau à Walden, celle de Jean-François Peyret se révélera par des mots.


Cette exploration de la langue de Thoreau se fera donc à la manière de Thoreau à la différence près que, à la machine-livre, Jean-François Peyret propose de répondre par une machine numérique. Que ressort-il du traitement du matériau Thoreau par la machine ? Nous ne pourrons le dire que par la pratique. Le dialogue homme-machine est une des préoccupations de Peyret depuis son travail sur le scientifique britannique Alan Turing, père entre autres de l'intelligence artificielle dont le fameux test vise à déterminer si les machines pensent (ou non). Ce test nous fait croire que la machine imite l'homme, la justesse de l'imitation permettant de dire si elle pense. Or, on peut concevoir que la réalité est autre, autrement dit que c'est l'homme qui s'adapterait à la machine, car il doit désormais penser avec elle. Qu'est-ce que penser au milieu des machines et, dans ce contexte, le comédien peut-il, à son tour, penser comme elles ou tout au moins les imiter ? Les machines font aujourd'hui partie de notre monde et de notre vie quotidienne, à tel point qu'on peut les considérer, non plus comme des exécutants agissant à notre place, mais comme des agents se substituant à notre cerveau. Autrement dit elles « pensent » (ou on les fait penser, si la formule vous effraie trop) à notre place. À son époque, Thoreau était déjà d'avis que ce ne sont pas les hommes qui se servent des machines mais bien l'inverse. L'idée est ici que penser avec des machines – désormais notre lot quotidien – impliquerait que l'on pense comme des machines, ce à quoi s'essayeront les acteurs sur scène.

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