Le titre du spectacle que Falk Richter cosigne avec la chorégraphe Anouk van Dijk est programmatique. Rausch est pourtant l'un de ces mots allemands dont les multiples sens le rendent proprement intraduisible dans une autre langue. Signifiant dans le spectacle tout aussi bien « ivresse », boursière et amoureuse, que « bruissement », « élan dionysiaque » ou « enchaînement fou », il fixe néanmoins un cap aux sept danseurs et cinq acteurs qui composent la troupe internationale de Rausch : quitter le domaine de la rationalité, colonisée par l'idéologie néolibérale et les intérêts financiers, et livrer bataille pour retrouver espoir. Dans cette pièce, Falk Richter dresse le portrait d'une jeunesse occidentale qui, à l'heure d'une crise omniprésente, grandit avec des moyens de communication offrant de nouveaux réseaux sociaux et affectifs. Il n'est plus temps d'avoir peur du changement, mais d'imaginer d'autres formes d'être ensemble, en interrogeant radicalement nos modes de vie et d'organisation sociale. Qu'ils s'expriment avec leur corps ou avec les mots poétiques et politiques que Falk Richter place dans leur bouche, les jeunes personnages de Rausch cherchent une emprise sur ce monde qui semble désormais hors de contrôle et dont les repères s'effondrent les uns après les autres. Explorant par le prisme de la relation amoureuse la condition de leurs contemporains, Anouk van Dijk et Falk Richter portent un regard personnel et critique, mais toujours drôle, sur le système capitaliste qui s'est infiltré jusque dans notre intimité. Dans cet étourdissant spectacle, porté par la musique électrique de Ben Frost, ils nous donnent à voir la gestion si bien ordonnée de nos vies professionnelles et privées, mais aussi son envers : la perte de contrôle. Cette Ivresse qui nous encourage à inventer, au-delà du langage, une utopie amoureuse et collective.

Marion Siéfert