Les initiales les plus célèbres du théâtre shakespearien, celles du beau Roméo amoureux de la belle et jeune Juliette. Initiales mythiques d’une passion qui ne connaît que la mort comme limite, d’une passion à vivre dans l’immédiateté du désir, envers et contre tout, passion impérieuse et donc insupportable et interdite pour ceux qui veulent soumettre la fougue amoureuse aux carcans des convenances sociales, à la raison d’Etat ou à la haine ancestrale que se vouent des parents insensibles à l’amour éperdu de leurs enfants.

Shakespeare ne les a pas inventés ces héros venus d’une Italie largement imaginaire. Il les a « récupérés » sans doute au gré de ses lectures, peut-être celle du poème narratif au titre homonyme d’Arthur Brooks publié en 1562, qui lui-même l’avait emprunté à un certain Bandello, qui lui-même l’avait sans doute emprunté à un autre auteur encore moins connu… Jean-Michel Rabeux poursuit ce chemin fidèle à la trame dramatique de son génial prédécesseur anglais, mais avec ses mots, aujourd’hui. Il fait sien ce théâtre cruel qui décrit un monde où règne la peur, la peur de l’amour, la peur de la liberté des corps et des esprits, la peur des abîmes de la passion amoureuse. Pas la passion romantique qui fait dire « non » avant de faire dire « oui », mais la passion qui dit « oui » de suite, oui à tout, dans l’urgence d’un désir qui déferle et envahit, qui dévore et abolit les règles et les lois, les convenances et les habitudes. Théâtre cruel mais rempli de tendresse pour ces « enfants soldats » qui font la guerre à la guerre des clans, à la haine distillée de générations en générations. Théâtre du verbe haut, de la parole qui traverse les corps, de la vitalité, théâtre de mots, de chants et de danse, hors de tout réalisme télévisuel, qui se joue dans une arène tragique pour dire le mythe intemporel d’un amour absolu, brutal et féroce.